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ASCENSION DANS LES TÉNÈBRES.

 
Homme, toujours en moi la contradiction
Tourne sa roue obscure et j’en suis l’Ixion.
Démos, c’est moi. C’est moi ce qui marche, attend, roule,
Pleure et rit, nie et croit ; je suis le démon Foule.
Je suis comme la trombe, ouragan et pilier.

En même temps je vis dans l’âtre familier.
Oui, j’arrache au tison la soudaine étincelle
Qui heurte un germe obscur que le crâne recèle,
Et qui, des fronts courbés perçant les épaisseurs,
Fait faire explosion à l’esprit des penseurs.
Je vis près d’eux, veilleur intime ; je combine
Le vieux houblon de Flandre et la vigne sabine,
La franche joie attique et le rire gaulois ;
L’antique insouciance avec ses douces lois,
Paix, liberté, gaîté, bon sens, est mon breuvage ;
J’en grise Érasme et Sterne, et même mon sauvage
Diderot ; et j’en fais couler quelques filets
De l’amphore d’Horace au broc de Rabelais.

Que suis-je encor ?

Que suis-je encor ? Je crie à quiconque commence :
Assez ! finis ! Je suis le médiocre immense,
Toutes les fois qu’on parle et qu’on dit : mitoyen,
Mode, médiateur, méridien, moyen,
Par chacun de ces mots on m’évoque, on m’adjure,
Et tantôt c’est louange, et tantôt c’est injure.
Je suis l’esprit Milieu : l’être neutre, qui va
Bas sans trouver Iblis, haut sans voir Jéhovah ;