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Que cet être affreux soit dans le monde où nous sommes
Et puisse regarder le ciel comme les hommes,
Cela trouble l’esprit et confond la raison.
Lorsqu’il passe la nuit derrière l’horizon,
La lueur de ses yeux semble l’aube ; la grève
Blanchit ; le voyageur dit : l’aurore se lève,
Et ne se doute pas, dans sa tranquillité,
Que c’est Léviathan qui fait cette-clarté.
Passant paisible, il songe à l’aube douce et blonde,
À la rosée, aux fleurs... Quelle terreur profonde,
Quel frisson si dans l’ombre il pouvait soudain voir
Cette forme inouïe et sombre se mouvoir !

Parfois Léviathan redescend vers le gouffre,
Et les masques ont peur au fond du lac de soufre,
Et l’enfer tremble avec son geôlier pâlissant
Quand, là-haut, sur leurs fronts, tout a coup surgissant,
Sa tête, comme un mont qui remuerait sa cime,
Se dresse épouvantable au rebord de l’abîme.

Toi qui viens dans mon ombre, iras-tu le chercher
Dans sa grande herbe verte, ou bien sous son rocher ?
Iras-tu le lier de cordes sous le ventre,
Et le traîneras-tu, hideux, hors de son antre,
Pour faire dans ta cour, en plein soleil, devant
Cet être, objet nocturne, incroyable et vivant
De tant de visions et de tant d’épouvantes,
Attrouper les enfants et rire les servantes !
Eh bien ! dans sa main songe à cela, vil roseau,
Dieu prend Léviathan comme on prend un oiseau !