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Tout à coup, près de moi défila lentement
Un long troupeau de boeufs descendus des collines.
Leurs fanons tout souillés battaient sur leurs poitrines ;
Leurs têtes s'abaissaient dans un balancement.

Ils allaient. À pas lourds, comme ceux d'un homme ivre,
Ils foulaient la broussaille aux murmures légers,
Et faisaient en leur marche à l'appel des bergers
Tinter sous leurs cous bruns leurs clochettes de cuivre.

Comme on écoute en rêve un chant de timbres d'or,
J'écoutais, seul, perdu sur le plateau qui fume.
Depuis longtemps déjà, submergés par la brume,
Ils avaient disparu, que j'écoutais encor.

À votre aspect, ô boeufs si puissants et si mornes !
Qui, sans vouloir, sonniez votre servage en choeur,
Une amère tristesse avait serré mon coeur,
Boeufs résignés, songeurs oublieux de vos cornes !

Vos grelots me parlaient ; et, comme un criminel,
Il me sembla, prêtant l'oreille aux rumeurs saintes
Du soir, entendre en moi se fondre aussi les plaintes
Que tous les opprimés poussaient vers l'éternel.

D'autres troupeaux venaient les rejoindre aux vallées ;
Et l'horizon s'emplit de ces clairs tintements
Qui se multipliaient comme les ralliements
Des douleurs d'ici-bas à la fois révélées.