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110 NOTICE PRÉLIMINAIRE.

nommé que par les ennemis de Diderot, et Diderot est nommé sur le titre de l’ouvrage[1].

Au moment où commencèrent les travaux préparatoires de l’ Encyclopédie, Diderot avait trente-deux ans. Marié depuis peu et père, il travaillait courageusement et il traduisait, en collaboration avec Eidous et Toussaint, le grand Dictionnaire de médecine de James, dont les six volumes in-folio allaient paraître en 1746. Cette besogne le préparait à en entreprendre une d’un genre analogue. On le savait bon mathématicien, excellent humaniste, déjà lié avec des artistes en tout genre, et, de plus, très-propre, par son esprit ouvert, le charme et la puissance de sa parole, à servir de trait d’union entre les divers membres de cette « Société de gens de lettres » qui devaient collaborer à l’œuvre commune. Le privilége de la nouvelle Encyclopédie fut obtenu en 1745 et scellé le 21 janvier 1746. Le choix de Diderot comme principal éditeur avait été indiqué par le chancelier d’Aguesseau.

Diderot amenait avec lui un certain nombre de ses amis, mais lui-même était peu connu du public. Il n’avait encore rien publié sous son nom, et s’il était cité comme un « savant n, il sentait bien qu’un savant qui n’était d’aucune Académie ne recommandait pas l’œuvre suffisamment. Heureusement, d’Alembert se trouvait là. Comme académicien et comme spécialiste, il pouvait être de la plus grande utilité, et ce ne fut pas une des moindres habiletés de Diderot de se l’associer sur le titre de l’ouvrage et de le conserver le plus longtemps qu’il le put comme auteur ou comme réviseur des articles de mathématiques, en même temps que comme paratonnerre. Quand d’Alembert, las de ce rôle, dont il ne se trouvait pas suffisamment rémunéré par les libraires, abandonna la partie, Diderot tint à la pousser jusqu’au bout et mérita dès lors d’être considéré comme ayant été seul à l’avoir jouée et à l’avoir gagnée.

Cette partie fut longue et difficile. Les contre-temps se présentèrent avant même le premier coup de dé, c’est-à-dire avant la publication du premier volume. On commençait à s’occuper sérieusement dans le monde de l’œuvre nouvelle en 1749, et l’impression était décidée, les rôles distribués, les matériaux en grande partie rassemblés, lorsque Diderot fut, comme nous l’avons dit dans la Notice de la Lettre sur les Aveugles, enfermé à Vincennes.

Nous n’avons pas à dire ici l’impression qu’il ressentit de son incarcération ; nous ne devons pas sortir de l’historique du livre. Ce qui nous

  1. Voici comment Naigeon délimite la part de l’abbé de Gua : « Le premier projet se bornait à la traduction de l’Encyclopédie anglaise de Chambers, avec quelques commentaires et additions que l’abbé de Gua, alors seul éditeur et rédacteur, s’était chargé de faire pour réparer les omissions importantes de l’auteur anglais et achever le tableau des connaissances humaines à cette époque. » (Mémoires sur la Vie et les Ouvrages de Diderot, p. 450.)