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MOI. — Vous n’êtes pas de ces gens-là ?

LUI. — Pourquoi non ?

MOI. — C’est qu’il est au moins indécent de donner du ridicule à ses bienfaiteurs.

LUI. — Mais n’est-ce pas pis encore de s’autoriser de ses bienfaits pour avilir son protégé ?

MOI. — Mais si le protégé n’était pas vil par lui-même, rien ne donnerait au protecteur cette autorité.

LUI. — Mais si les personnages n’étaient pas ridicules par eux-mêmes, on n’en ferait pas de bons contes. Et puis est-ce ma faute s’ils s’encanaillent ? est-ce ma faute, lorsqu’ils sont encanaillés, si on les trahit, si on les bafoue ? Quand on se résout à vivre avec des gens comme nous, et qu’on a le sens commun, il y a je ne sais combien de noirceurs auxquelles il faut s’attendre. Quand on nous prend, ne nous connaît-on pas pour ce que nous sommes, pour des âmes intéressées, viles et perfides ? Si l’on nous connaît, tout est bien. Il y a un pacte tacite qu’on nous fera du bien, et que tôt ou tard nous rendrons le mal pour le bien qu’on nous aura fait. Ce pacte ne subsiste-t-il pas entre l’homme et son singe et son perroquet ? Le Brun jette les hauts