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l’hypocrite Batteux. Le gros abbé n’est méchant qu’avant dîner ; son café pris, il se jette dans un fauteuil, les pieds appuyés contre la tablette de la cheminée, et s’endort comme un vieux perroquet sur son bâton. Si le vacarme devient violent, il bâille, étend ses bras, il frotte ses yeux et dit : « Eh bien, qu’est-ce, qu’est-ce ? — Il s’agit de savoir si Piron a plus d’esprit que Voltaire. — Entendons-nous : c’est de l’esprit que vous dites ? il ne s’agit pas de goût ? car du goût, votre Piron ne s’en doute pas. — Ne s’en doute pas ? — Non… ». Et puis nous voilà embarqués dans une dissertation sur le goût. Alors le patron fait signe de la main qu’on l’écoute, car c’est surtout de goût qu’il se pique. « Le goût, dit-il… le goût est une chose… » Ma foi je ne sais quelle chose il disait que c’était, ni lui non plus.

Nous avons quelquefois l’ami Robbé ; il nous régale de ses contes équivoques, des miracles des convulsionnaires, dont il a été le témoin oculaire, et de quelques chants de son poëme sur un sujet qu’il connaît à fond. Je hais ses vers, mais j’aime à l’entendre réciter ; il a l’air d’un énergumène. Tous s’écrient autour de lui : « Voilà ce qu’on appelle un poëte !… » Entre nous, cette poésie-là