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font : du bien, du mal et rien. Et puis j’ai eu faim, et j’ai mangé quand l’occasion s’en est présentée ; après avoir mangé, j’ai eu soif, et j’ai bu quelquefois. Cependant la barbe me venait, et quand elle a été venue je l’ai fait raser.

MOI. — Vous avez mal fait ; c’est la seule chose qui vous manque pour être sage.

LUI. — Oui-da. J’ai le front grand et ridé, l’œil ardent, le nez saillant, les joues larges, le sourcil noir et fourni, la bouche bien fendue, la lèvre rebordée, et la face carrée. Si ce vaste menton était couvert d’une longue barbe, savez-vous que cela figurerait très-bien en bronze ou en marbre ?

MOI. — À côté d’un César, d’un Marc-Aurèle, d’un Socrate.

LUI. — Non. Je serais mieux entre Diogène, Laïs et Phryné. Je suis effronté comme l’un, et je fréquente volontiers chez les autres.

MOI. — Vous portez-vous toujours bien ?

LUI. — Oui, ordinairement, mais pas merveilleusement aujourd’hui.

MOI. — Comment ! vous voilà avec un ventre de Silène et un visage de…

LUI. — Un visage qu’on prendrait pour un