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LUI. — Ne croyez pas cela, ils sont sans cesse excédés.

MOI. — Le plaisir est toujours une affaire pour eux, et jamais un besoin.

LUI. — Tant mieux ; le besoin est toujours une peine.

MOI. — Ils usent tout. Leur âme s’hébète, l’ennui s’en empare. Celui qui leur ôterait la vie au milieu de leur abondance accablante les servirait : c’est qu’ils ne connaissent du bonheur que la partie qui s’émousse le plus vite. Je ne méprise pas les plaisirs des sens, j’ai un palais aussi, et il est flatté d’un mets délicat ou d’un vin délicieux ; j’ai un cœur et des yeux, et j’aime à voir une jolie femme, j’aime à sentir sous ma main… à puiser la volupté dans ses regards… Quelquefois avec mes amis une partie de débauche, même un peu tumultueuse, ne me déplaît pas. Mais je ne vous le dissimulerai pas, il m’est infiniment plus doux encore d’avoir secouru le malheureux, d’avoir terminé une affaire épineuse, donné un conseil salutaire, fait une lecture agréable, une promenade avec un homme ou une femme chère à mon cœur, passé quelques heures instructives avec mes enfants, écrit une bonne page, rempli