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se mettait à son clavecin ; d’abord elle y faisait du bruit toute seule, ensuite je m’approchais, après avoir fait à la mère un signe d’approbation. La mère : « Cela ne va pas mal ; on n’aurait qu’à vouloir, mais on ne veut pas ; on aime mieux perdre son temps à jaser, à chiffonner, à courir, à je ne sais quoi. Vous n’êtes pas si tôt parti, que le livre est fermé pour ne le rouvrir qu’à votre retour : aussi, vous ne la grondez jamais. » Cependant, comme il fallait faire quelque chose, je lui prenais les mains, que je lui plaçais autrement ; je me dépitais, je criais : « Sol, sol, sol, mademoiselle ; c’est un sol. » La mère : « Mademoiselle, est-ce que vous n’avez point d’oreille ? Moi qui ne suis pas au clavecin, et qui ne vois pas sur votre livre, je sens qu’il faut un sol. Vous donnez une peine infinie à monsieur ; je ne conçois pas sa patience ; vous ne retenez rien de ce qu’il vous dit, vous n’avancez point… » Alors je rabattais un peu les coups, et, hochant de la tête, je disais : « Pardonnez-moi, madame, pardonnez-moi ; cela pourrait aller mieux si mademoiselle voulait, si elle étudiait un peu : mais cela ne va pas mal. » La mère : « À votre place, je la tiendrais un an sur la même