Page:Diderot - Le Neveu de Rameau.djvu/42

Cette page a été validée par deux contributeurs.

et son âge, et revenons aux maîtres qu’elle aura.

LUI. — Pardieu ! je ne sache rien de si têtu qu’un philosophe. En vous suppliant très-humblement, ne pourrait-on savoir de monseigneur le philosophe quel âge à peu près peut avoir mademoiselle sa fille ?

MOI. — Supposez-lui huit ans.

LUI. — Huit ans ! il y a quatre ans que cela devrait avoir les doigts sur les touches.

MOI. — Mais peut-être ne me soucié-je pas trop de faire entrer dans le plan de son éducation une étude qui occupe si longtemps et qui sert si peu.

LUI. — Et que lui apprendrez-vous donc, s’il vous plaît ?

MOI. — À raisonner juste, si je puis ; chose si peu commune parmi les hommes, et plus rare encore parmi les femmes.

LUI. — Eh ! laissez-la déraisonner tant qu’elle voudra, pourvu qu’elle soit jolie, amusante et coquette.

MOI. — Puisque la nature a été assez ingrate envers elle pour lui donner une organisation délicate avec une âme sensible, et l’exposer aux