Page:Diderot - Le Neveu de Rameau.djvu/31

Cette page a été validée par deux contributeurs.
- 31 -

que. — Précisément… dans un bel équipage avec des chevaux gris pommelés, deux grands laquais, un petit nègre, et le coureur en avant ; du rouge, des mouches, la queue portée. — Au bal ? — Au bal, à l’Opéra, à la Comédie… (déjà le cœur lui tressaillit de joie…) — Tu joues avec un papier entre tes doigts. Qu’est-ce cela ? — Ce n’est rien. — Il me semble que si. — C’est un billet. — Et pour qui ? — Pour vous, si vous étiez un peu curieuse. — Curieuse ? je le suis beaucoup ; voyons (elle lit). Une entrevue ! cela ne se peut. — En allant à la messe. — Maman m’accompagne toujours ; mais s’il venait ici un peu matin, je me lève la première, et je suis au comptoir avant qu’on soit levé… — Il vient, il plaît ; un beau jour, à la brune, la petite disparaît, et l’on me compte mes deux mille écus… Hé quoi ! tu possèdes ce talent-là, et tu manques de pain ! N’as-tu pas de honte, malheureux ?… Je me rappelais un tas de coquins qui ne m’allaient pas à la cheville, et qui regorgeaient de richesses. J’étais en surtout de bouracan, et ils étaient couverts de velours ; ils s’appuyaient sur la canne à pomme d’or et en bec de corbin, et ils avaient l’Aristote ou le Platon au doigt. Qu’était-ce pourtant ? de