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pour cela ? La sottise d’avoir eu un peu de goût, un peu d’esprit, un peu de raison. Rameau, mon ami, cela vous apprendra ce que Dieu vous fit, et ce que vos protecteurs vous voulaient. Aussi l’on vous a pris par les épaules, on vous a conduit à la porte, on vous a dit : « Faquin, tirez, ne reparaissez plus ! Cela veut avoir du sens, de la raison, je crois ! Tirez. Nous avons de ces qualités-là de reste. » Vous vous en êtes allé en vous mordant les doigts ; c’est votre langue maudite qu’il fallait mordre auparavant. Pour ne vous en être pas avisé, vous voilà sur le pavé, sans le sou, et ne sachant où donner de la tête. Vous étiez nourri à bouche que veux-tu, et vous retournerez au regrat ; bien logé, et vous serez trop heureux si l’on vous rend votre grenier ; bien couché, et la paille vous attend entre le cocher de M. de Soubise et l’ami Robbé[1] ; au lieu d’un sommeil doux et tranquille comme vous l’aviez, vous entendrez d’une oreille le hennissement et le piétinement des chevaux, de l’autre le

  1. Robbé de Beauveset, poëte médiocre et cynique, mort en 1794. Il avait fait un poëme sur la vérole, dont Piron lui disait qu’il était plein de son sujet.