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commencer, il pousse un profond soupir et porte ses deux mains à son front ; ensuite il reprend un air tranquille, et me dit) :

— Vous savez que je suis un ignorant, un sot, un fou, un impertinent, un paresseux, ce que nos Bourguignons appellent un fieffé truand, un cochon, un gourmand.

MOI. — Quel panégyrique !

LUI. — Il est vrai de tout point, il n’y a pas un mot à rabattre ; point de contestation là-dessus, s’il vous plaît. Personne ne me connaît mieux que moi, et je ne dis pas tout.

MOI. — Je ne veux point vous fâcher, et je conviendrai de tout.

LUI. — Eh bien ! je vivais avec des gens qui m’avaient pris en gré, précisément parce que j’étais doué à un rare degré de toutes ces qualités.

MOI. — Cela est singulier : jusqu’à présent j’avais cru, ou qu’on se les cachait à soi-même, ou qu’on se les pardonnait, et qu’on les méprisait dans les autres.

LUI. — Se les cacher ! Est-ce qu’on le peut ? Soyez sûr que quand Palissot est seul et qu’il revient sur lui-même, il se dit bien d’autres