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mal, s’il est nécessaire, comme beaucoup d’honnêtes gens l’imaginent.

LUI. — Je n’entends pas grand’chose à tout ce que vous me débitez là. C’est apparemment de la philosophie ; je vous préviens que je ne m’en mêle pas. Tout ce que je sais, c’est que je voudrais bien être un autre, au hasard d’être un homme de génie, un grand homme ; oui, il faut que j’en convienne, il y a là quelque chose qui me le dit. Je n’en ai jamais entendu louer un seul, que son éloge ne m’ait fait enrager secrètement. Je suis envieux. Lorsque j’apprends de leur vie privée quelque trait qui les dégrade, je l’écoute avec plaisir ; cela nous rapproche, j’en supporte plus aisément ma médiocrité. Je me dis : Certes, tu n’aurais jamais fait Mahomet, ni l’éloge de Maupeou. J’ai donc été, je suis donc fâché d’être médiocre. Oui, oui, je suis médiocre et fâché. Je n’ai jamais entendu jouer l’ouverture des Indes galantes, jamais entendu chanter Profonds abîmes du Ténare ; Nuit, éternelle nuit, sans me dire avec douleur : Voilà ce que tu ne feras jamais. J’étais donc jaloux de mon oncle ; et s’il y avait eu à sa mort quelques belles pièces de clavecin dans son