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qui m’est toujours présente, je trouve qu’il n’est pas du bon ordre de n’avoir pas toujours de quoi manger. Quelle diable d’économie ! des hommes qui regorgent de tout, tandis que d’autres, qui ont un estomac importun comme eux, une faim renaissante comme eux, n’ont pas de quoi mettre sous la dent. Le pis, c’est la posture contrainte où nous tient le besoin. L’homme nécessiteux ne marche pas comme un autre, il saute, il rampe, il se tortille, il se traîne, il passe sa vie à prendre et à exécuter des positions.

MOI. — Qu’est-ce que des positions ?

LUI. — Allez le demander à Noverre. Le monde en offre bien plus que son art n’en peut imiter.

MOI. — Et vous voilà aussi, pour me servir de votre expression, ou de celle de Montaigne, perché sur l’épicycle de Mercure, et considérant les différentes pantomimes de l’espèce humaine.

LUI. — Non, non, vous dis-je ; je suis trop lourd pour m’élever si haut. J’abandonne aux grues le séjour des brouillards, je vais terre à terre. Je regarde autour de moi, et je prends mes positions, ou je m’amuse des positions que