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MOI. — Écoutez-moi, cher homme. Une société ne devrait pas avoir de mauvaises lois ; et si elle n’en avait que de bonnes, elle ne serait jamais dans le cas de persécuter un homme de génie. Je ne vous ai pas dit que le génie fût indivisiblement attaché à la méchanceté, ni la méchanceté au génie. Un sot sera plus souvent méchant qu’un homme d’esprit. Quand un homme de génie serait communément d’un commerce dur, difficile, épineux, insupportable ; quand même ce serait un méchant, qu’en concluriez-vous ?

LUI. — Qu’il est bon à noyer.

MOI. — Doucement, cher homme ! Çà, dites-moi, je ne prendrai pas votre oncle Rameau pour exemple. C’est un homme dur, c’est un brutal ; il est sans humanité, il est avare, il est mauvais père, mauvais époux, mauvais oncle ; mais il n’est pas décidé que ce soit un homme de génie, qu’il ait poussé son art fort loin, et qu’il soit question de ses ouvrages dans dix ans. Mais Racine ? celui-là certes avait du génie, et ne passait pas pour un trop bon homme. Mais Voltaire ?…

LUI. — Ne me pressez pas, car je suis conséquent.