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qui présentent d’elles-mêmes tous ces avantages… Barbare, cruel, plonge ton poignard dans mon sein ; me voilà prête à recevoir le coup fatal ; frappe, ose… Ah ! je languis, je meurs… un feu secret s’allume dans mes sens… Cruel Amour, que veux-tu de moi ?… Laisse-moi la douce paix dont j’ai joui… rends-moi la raison… Il faut que les passions soient fortes ; la tendresse du musicien et du poëte lyrique doit être extrême ; l’air est presque toujours la péroraison de la scène. Il nous faut des exclamations, des interjections, des suspensions, des interruptions, des affirmations, des négations ; nous appelons, nous invoquons, nous crions, nous gémissons, nous pleurons, nous rions franchement. Point d’esprit, point d’épigrammes, point de ces jolies pensées ; cela est trop loin de la simple nature. Et n’allez pas croire que le jeu des acteurs de théâtre et leur déclamation puissent nous servir de modèles. Fi donc ! il nous le faut plus énergique, moins maniéré, plus vrai ; les discours simples, les voix communes de la passion nous sont d’autant plus nécessaires que la langue sera plus monotone, n’aura point d’accents ; le cri animal ou de l’homme passionné leur en donne.