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MOI. — Quoi donc ! est-ce que Quinault, Lamotte, Fontenelle, n’y ont rien entendu ?

LUI. — Non, pour le nouveau style. Il n’y a pas six vers de suite, dans tous leurs charmants poëmes, qu’on puisse musiquer. Ce sont des sentences ingénieuses, des madrigaux légers, tendres et délicats. Mais pour savoir combien cela est vide de ressources pour notre art, le plus violent de tous, sans en excepter celui de Démosthènes, faites-vous réciter ces morceaux : ils vous paraîtront froids, languissants, monotones. C’est qu’il n’y a rien là qui puisse servir de modèle au chant ; j’aimerais autant avoir à musiquer les Maximes de La Rochefoucauld ou les Pensées de Pascal. C’est au cri animal de la passion à dicter la ligne qui nous convient ; il faut que ses expressions soient pressées les unes sur les autres ; il faut que la phrase soit courte, que le sens en soit coupé, suspendu ; que le musicien puisse disposer de tout et de chacune de ses parties, en omettre un mot ou le répéter, y en ajouter une qui lui manque, la tailler et retailler comme un polype, sans la détruire ; ce qui rend la poésie lyrique française beaucoup plus difficile que dans les langues à inversions,