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si cela est beau ! Comment peut-on porter à sa tête une paire d’oreilles, et faire une pareille question ? » Il commençait à entrer en passion et à chanter tout bas, il élevait le ton à mesure qu’il se passionnait davantage ; vinrent ensuite les gestes, les grimaces du visage et les contorsions du corps ; et je dis : « Bon ! voilà la tête qui se perd, et quelque scène nouvelle qui se prépare… » En effet, il part d’un éclat de voix : « Je suis un pauvre misérable… Monseigneur, monseigneur, laissez-moi partir… Ô terre, reçois mon or, conserve mon trésor, mon âme, mon âme, ma vie ! Ô terre !… Le voilà le petit ami, le voilà le petit ami ! Aspettar si non venire… A Zerbina penserete… Sempre in contrasti con te si sta… » Il entassait et brouillait ensemble trente airs italiens, français, tragiques, comiques, de toutes sortes de caractères. Tantôt avec une voix de basse-taille il descendait jusqu’aux enfers, tantôt, s’égosillant et contrefaisant le fausset, il déchirait le haut des airs ; imitant, de la démarche, du maintien, du geste, les différents personnages chantants ; successivement furieux, radouci, impérieux, ricaneur. Ici c’est une jeune fille qui pleure, et il en rend toute la minauderie ; là il est prêtre, il est roi, il