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dre l’état par des voies justes, & non aux dépens de l’humanité.

En cinquieme lieu, de petits soupçons font souvent regarder comme criminels des gens qui ne le sont point. Le commerce innocent entre un homme & une femme, fournit au méchant un sujet de les calomnier. Sur une circonstance qui accompagne ordinairement une action criminelle, on déclare coupable du fait même, la personne soupçonnée. Une mauvaise action suffit pour deshonorer toute la vie d’un homme.

Sixiemement, nous devons distinguer (& la loi même le fait) entre les actions qui viennent d’une malice préméditée, & celle auxquelles quelque violente passion ou quelque desordre dans l’esprit portent l’homme. Lorsque l’offenseur est provoqué, & qu’un transport subit le met hors de lui, il est certain que cet état diminue sa faute aux yeux de l’Eternel qui nous jugera miséricordieusement.

Enfin la conservation & l’accroissement du genre humain est une preuve assurée qu’il y a plus de bien que de mal dans le monde ; car une ou deux actions peuvent avoir une influence funeste sur plusieurs personnes. De plus, toutes les actions vicieuses tendent à la destruction du genre humain, du-moins à son desavantage & à sa diminution ; au lieu qu’il faut nécessairement le concours d’un grand nombre de bonnes actions pour la conservation de chaque individu. Si donc le nombre des mauvaises actions surpassoit celui des bonnes, le genre humain devroit finir. On en voit une preuve sensible dans les pays où les vices se multiplient, car le nombre des hommes y diminue tous les jours ; si la vertu s’y rétablit, les habitans y reviennent à sa suite. Le genre humain ne pourroit subsister, si jamais le vice étoit dominant, puisqu’il faut le concours de plusieurs bonnes actions pour réparer les dommages causés par une seule mauvaise ; qu’un seul crime suffit pour ôter la vie à un homme ou à plusieurs : mais combien d’actes de bonté doivent concourir pour conserver chaque particulier ?

De tout ce qu’on vient de dire, il résulte qu’il y a plus de bien que de mal parmi les hommes, & que le monde peut être l’ouvrage d’un Dieu bon, malgré l’argument qu’on fonde sur la supposition que le mal l’emporte sur le bien. Tout cela cependant n’est pas nécessaire, puisqu’il peut y avoir dix mille fois plus de bien que de mal dans tout l’univers, quand même il n’y auroit absolument aucun bien sur cette terre que nous habitons. Elle est trop peu de chose pour avoir quelque proportion avec le système entier ; & nous ne pouvons que porter un jugement très-imparfait du tout sur cette partie. Elle peut être l’hôpital de l’univers ; & peut-on juger de la bonté & de la pureté de l’air du climat, sur la vue d’un hôpital où il n’y a que des malades ? de la sagesse d’un gouvernement, sur la vue d’une maison destinée pour y héberger des fols ? ou de la vertu d’une nation, sur la vue d’une seule prison qui renferme des malfaiteurs ? Non que la terre soit effectivement telle ; mais il est permis de le supposer, & toute supposition qui montre que la chose peut être, renverse l’argument manichéen, fondé sur l’impossibilité d’en rendre raison. Cependant loin de l’imaginer, regardons plûtôt la terre comme un séjour rempli de douceurs ; « Au moins, dit M. King, j’avoue avec la plus vive reconnoissance pour Dieu, que j’ai passé mes jours de cette maniere ; je suis persuadé que mes parens, mes amis, & mes domestiques en ont fait autant, & je ne crois pas qu’il y ait de mal dans la vie qui ne soit supportable, sur-tout pour ceux qui ont des espérances d’un bonheur à venir ».

Au reste, indépendamment des preuves de l’illustre archevêque de Dublin, qui établissent que le

bien, tant naturel que moral, l’emporte dans le monde sur le mal, le lecteur peut encore consulter Sherlock, traité de la Providence ; Hutcheson, On the Nature and conduct of the passions ; London, 1728 ; Leibnitz, essais de Théodicée ; Chubb’s, supplement to the vindication of God’s Moral Character, &c. & Lucas, Enquiry after Happiness.

Bayle a combattu le système du docteur King, dans sa réponse aux questions d’un provincial ; mais outre que l’archevêque de Dublin a répondu aux remarques du savant de Roterdam, il est bon d’observer que Bayle a eu tort d’avoir réfuté l’ouvrage sans l’avoir lû autrement que dans les extraits de M. Bernard & des journalistes de Léipsig. On peut encore lui reprocher en général d’avoir mêlé dans ses raisonnemens, plusieurs citations qui ne sont que des fleurs oratoires, & qui par conséquent ne prouvent rien ; la méthode de raisonner sur des autorités est très-peu philosophique dans des matieres de Métaphysique. (D. J.)

Mal, (Médecine.) On emploie souvent ce mot dans le langage médicinal & on lui attache différentes idées ; quelquefois on s’en sert comme d’un synonyme à douleur, comme quand on dit mal de tête, mal aux dents, au ventre, pour dire douleur de tête, de dents, de ventre ; d’autrefois il n’exprime qu’un certain malaise, un sentiment qui n’est point douleur, mais toujours un état contre nature, qu’il est plus facile de sentir que d’énoncer : c’est le cas de la plûpart des maux d’estomac, du mal au cœur, &c. Il est aussi d’usage pour désigner une affection quelconque indéterminée d’une partie malade. Ainsi on dit communément, j’ai mal aux yeux, à la jambe, &c. sans spécifier quel est le genre ou l’espece de maladie dont on est attaqué. Enfin on substitue dans bien des cas le mot mal à maladie, & on l’emploie dans la même signification. C’est ainsi qu’on appelle l’épilepsie mal caduc, une espece de lepre ou de galle mal-mort. On dit de même indifféremment maladie ou mal pédiculaire, maladie ou mal de Siam, &c. Toutes les autres maladies étant traitées à leur article particulier, à l’exception des deux dernieres, nous nous bornerons uniquement ici à ce qui les regarde.

Mal pédiculaire. Ce nom est dérivé du latin pediculus qui signifie poux. Le caractere univoque de cette maladie est une prodigieuse quantité de poux qui occupent principalement les parties couvertes de poils, sur-tout la tête ; quelquefois aussi ils infectent tout le corps. Les Grecs appellent cette maladie φθειριασις, du mot φθειρ qui veut dire poux, que Gallien prétend être tiré radicalement de φθινειν, corrompre ; faisant entendre par-là que les poux sont un effet de la corruption. On a vu quelques malades tellement chargés de ces animaux, que leurs bras & leurs jambes en étoient recouverts ; bien plus, ils sembloient sortir de dessous la peau, lorsque le malade en se grattant soulevoit quelque portion d’épiderme, ce qui confirmeroit l’opinion de Galien & d’Avenzoar qui pensent que les poux s’engendrent entre la peau & la chair. Outre le désagrément & l’espece de honte pour l’ordinaire bien fondée, qui sont attachés à cette maladie, elle entraîne à sa suite un symptome bien incommode, c’est l’extrème demangeaison occasionnée par ces poux. C’est cette même incommodité, que Serenus croyant bonnement qu’il n’y a rien de pernicieux ou même d’inutile, regarde comme un grand avantage que la nature tire de la présence de ces vilains animaux. Voici comme il s’exprime :

Noxia corporibus quædam de corpore nostro
Progenuit natura, volens abrumpere somnos
Sensibus admonitis vigilesque inducere curas.

Lib. de medic.