Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 9.djvu/89

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

estimables par argent. Cependant, repliquoit-on, les droits de la société semblent exiger qu’on repare un déplaisir par quelque sorte de satisfaction que ce puisse être. En effet qu’on ne doive jamais réparer le tort causé au prochain dans son honneur, par une satisfaction simplement pécuniaire ; c’est un principe qui n’est peut être pas si évident. Il est vrai qu’à l’égard des personnes distinguées dans le monde, ils ne mettent rien en comparaison avec l’honneur ; mais à l’égard des personnes du peuple, pour qui les besoins de la vie sont ordinairement plus intéressans qu’un peu de réputation ; si après avoir diminué injustement la leur, on se trouvoit dans l’impossibilité de la reparer, & qu’on pût contenter la personne lezée par une satisfaction pécuniaire ; pourquoi ne s’en pourroit-il pas faire une compensation légitime entre les deux partis ?

La chose semble plus plausible encore par rapport à la douleur corporelle ; si on pouvoit ôter la douleur & la maladie causées injustement, on seroit indubitablement obligée de le faire, & à titre de justice ; or ne pouvant l’ôter, on peut la diminuer & l’adoucir, en fournissant au malade lezé dequoi vivre un peu plus à son aise, dequoi se nourrir mieux, & se procurer certaines commodités qui sont des réparations de la douleur corporelle. Or il faut réparer en toutes les manieres possibles la peine causée sans raison au prochain, pour lui donner autant de satisfaction qu’on lui a causé de déplaisir. C’est aux savans à décider ; il suffit d’avoir fourni des réflexions qui pourront aider la décision.

On propose ordinairement plusieurs divisions de la justice ; pour en dire quelque chose, nous remarquerons :

1°. Que l’on peut en général diviser la justice en parfaite ou rigoureuse, & imparfaite ou non rigoureuse. La premiere est celle par laquelle nous nous acquittons envers le prochain de tout ce qui lui est dû, en vertu d’un droit parfait & rigoureux, c’est-à-dire dont il peut raisonnablement exiger l’exécution par la force, si l’on n’y satisfait pas de bon gré. La seconde est celle par laquelle on rend à autrui les devoirs qui ne lui sont dûs qu’en vertu d’une obligation imparfaite & non rigoureuse, qui ne peuvent point être exigés par les voies de la contrainte, mais dont l’accomplissement est laissé à l’honneur & à la conscience d’un chacun. 2°. L’on pourroit ensuite subdiviser la justice rigoureuse en celle qui s’exerce d’égal à égal, & celle qui a lieu entre un supérieur & un inférieur. Celle-là est d’autant de différentes especes, qu’il y a de devoirs qu’un homme peut exiger à la rigueur de tout autre homme, considéré comme tel, & un citoyen de tout autre citoyen du même état. Celle-ci renfermera autant d’especes qu’il y a de différentes sociétés, où les uns commandent, & les autres obéissent.

3°. Il y a d’autres divisions de la justice, mais qui paroissent peu précises & de peu d’utilité. Par exemple celle de la justice universelle & particuliere, prise de la maniere que Puffendorf l’explique semble vicieuse, en ce que l’un des membres de la division se trouve enfermé dans l’autre.

La subdivision de la justice particuliere en distributive & permutative, est incomplette, puisqu’elle ne renferme que ce que l’on doit à autrui en vertu de quelque engagement où l’on est entré, quoiqu’il y ait plusieurs choses que le prochain peut exiger de nous à la rigueur, indépendamment de tout accord & de toute convention.

Justice, (Littérat.) déesse allégorique du paganisme : les Grecs ont divinisé la justice sous le nom de Dicé & d’Astrée ; les Romains en ont fait une divinité distinguée de Thémis, & l’empereur Auguste lui bâtit un temple dans Rome.

On la peignoit ainsi qu’Astrée, en vierge, d’un regard sévere, joint à un certain air de fierté & de dignité, qui inspiroit le respect & la crainte.

Les Grecs du moyen âge la représenterent en jeune fille, assise sur une pierre quarrée, tenant une balance à la main, & de l’autre une épée nûe, ou faisceau de haches entourées de verges, pour marquer que la justice pese les actions des hommes, & qu’elle punit également comme elle récompense.

Elle étoit aussi quelquefois représentée le bandeau sur les yeux, pour montrer qu’elle ne voit & n’envisage ni le rang, ni la qualité des personnes. Les Egyptiens faisoient ses statues sans tête, voulant signifier par ce symbole, que les juges devoient se dépouiller de leur propre sentiment, pour suivre la décision des lois.

Hésiode assure que la justice fille de Jupiter, est attachée à son trône dans le ciel, & lui demande vengeance, toutes les fois qu’on blesse les lois & l’équité. Voyez Astrée, Dicé, Thémis.

Aratus dans ses phénomènes, peint d’un style mâle la justice déesse, se trouvant pendant l’âge d’or dans la compagnie des mortels de tout sexe & de toute condition. Déja pendant l’âge d’argent, elle ne parut que la nuit, & comme en secret, reprochant aux hommes leur honteuse dégénération ; mais l’âge d’airain la contraignit par la multitude des crimes, à se retirer dans le ciel, pour ne plus descendre ici-bas sur la terre. Ce dernier trait me fait souvenir du bon mot de Bautru, à qui l’on montroit un tableau, dans lequel pour exprimer le bonheur dont la France alloit jouir, on avoit peint la Justice & la Paix qui s’embrassoient tendrement : « ne voyez-vous pas, dit-il à ses amis, qu’elles se disent un éternel adieu » ? (D. J.)

Justice, (Jurispr.) est une des quatre vertus cardinales : on la définit en droit une volonté ferme & constante de rendre à chacun ce qui lui appartient.

On la divise en deux especes : justice commutative, & justice distributive. Voyez ci-après Justice commutative, &c.

Le terme de justice se prend aussi pour la pratique de cette vertu ; quelquefois il signifie bon droit & raison ; en d’autres occasions, il signifie le pouvoir de faire droit à chacun, ou l’administration de ce pouvoir.

Quelquefois encore justice signifie le tribunal où l’on juge les parties, & souvent la justice est prise pour les officiers qui la rendent.

Dans les siecles les moins éclairés & les plus corrompus, il y a toujours eu des hommes vertueux qui ont conservé dans leur cœur l’amour de la justice, & qui ont pratiqué cette vertu. Les sages & les philosophes en ont donné des préceptes & des exemples.

Mais soit que les lumieres de la raison ne soient pas également étendues dans tous les hommes, soit que la pente naturelle qu’ils ont pour la plûpart au vice, étouffe en eux la voix de la raison, il a fallu employer l’autorité & la force pour les obliger de vivre honnêtement, de n’offenser personne, & de rendre à chacun ce qui lui appartient.

Dans les premiers tems de la loi naturelle, la justice étoit exercée sans aucun appareil par chaque pere de famille sur ses femmes, enfans & petits-enfans, & sur ses serviteurs. Lui seul avoit sur eux le droit de correction : sa puissance alloit jusqu’au droit de vie & de mort ; chaque famille formoit comme un peuple separé, dont le chef étoit tout-à-la-fois le pere, le roi & le juge.

Mais bien-tôt chez plusieurs nations on éleva une puissance souveraine au-dessus de celle des peres ; alors ceux-ci cesserent d’être juges absolus comme ils l’étoient auparavant à tous égards. Il leur resta