Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 9.djvu/87

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce rapport avec notre conservation, fonde les qualités de bon & de droit, de mauvais & de pervers, qui ne dépendent par conséquent d’aucune disposition arbitraire, & existent non-seulement avant la loi, mais même quand la loi n’existeroit point. « La nature universelle, dit l’empereur philosophe, (liv. X. art. j.) ayant créé les hommes les uns pour les autres, afin qu’ils se donnent des secours mutuels, celui qui viole cette loi commet une impiété envers la Divinité la plus ancienne : car la nature universelle est la mere de tous les êtres, & par conséquent tous les êtres ont une liaison naturelle entre eux. On l’appelle aussi la vérité, parce qu’elle est la premiere cause de toutes les vérités ». S’il arrivoit donc qu’un législateur s’avisât de déclarer injustes les actions qui servent naturellement à nous conserver, il ne feroit que d’impuissans efforts : s’il vouloit au moyen de ces lois faire passer pour justes, celles qui tendent à nous détruire, on le regarderoit lui-même avec raison comme un tyran, & ces actions étant condamnées par la nature, ne pourroient être justifiées par les lois ; si quæ sint tyrannorum leges, si triginta illi Athenis leges imponere voluissent, aut si omnes Athenienses delectarentur tyrannicis legibus, num idcirco hæ leges justæ haberentur ? Quod si principum decretis, si sententius judicum jura constitutrentur, jus esset latrocinari, jus ipsum adulterare. (Cicero, lib. X. de Legibus.) Grotius a donc été très-fondé à soutenir que la loi ne sert & ne tend en effet, qu’à faire connoître, qu’à marquer les actions qui conviennent ou qui ne conviennent pas à la nature humaine ; & rien n’est plus aisé que de faire sentir le foible des raisons dont Puffendorf, & quelques autres jurisconsultes, se sont servis pour combattre ce sentiment.

On objecte, par exemple, que ceux qui admettent pour fondement de la moralité de nos actions, je ne sais quelle regle éternelle indépendante de l’institution divine, associent manifestement à Dieu un principe extérieur & co-éternel, qu’il a dû suivre nécessairement dans la détermination des qualités essentielles & distinctives de chaque chose. Ce raisonnement étant fondé sur un faux principe, croule avec lui : le principe dont je veux parler, c’est celui de la liberté d’indifférence de Dieu, & du prétendu pouvoir qu’on lui attribue de disposer à son gré des essences. Cette supposition est contradictoire : la liberté du grand auteur de toutes choses consiste à pouvoir créer ou ne pas créer ; mais dès-là qu’il se propose de créer certains êtres, il implique qu’il les crée autres que leur essence, & ses propres idées les lui représentent. S’il eût donc donné aux créatures qui portent le nom d’hommes, une autre nature, un autre être, que celui qu’ils ont reçu, elles n’eussent pas été ce qu’elles sont actuellement ; & les actions qui leur conviennent entant qu’Hommes, ne s’accorderoient plus avec leur nature.

C’est donc proprement de cette nature, que resultent les propriétés de nos actions, lesquelles en ce sens ne souffrent point de variation ; & c’est cette immutabilité des essences qui forme la raison & la vérité éternelle, dont Dieu, en qualité d’être souverainement parfait, ne sauroit se départir. Mais la vérité, pour être invariable, pour être conforme à la nature & à l’essence des choses, ne forme pas un principe extérieur par rapport à Dieu. Elle est fondée sur ses propres idées, dont on peut dire en un sens, que découle l’essence & la nature des choses, puisqu’elles sont éternelles, & que hors d’elles rien n’est vrai ni possible. Concluons donc qu’une action qui convient ou qui ne convient pas à la nature de l’être qui la produit, est moralement bonne ou mauvaise ; non parce qu’elle est conforme ou contraire à la loi, mais parce qu’elle s’accorde avec

l’essence de l’être qui la produit, ou qu’elle y répugne : ensuite de quoi, la loi survenant, & bâtissant sur les fondemens posés par la nature, rend juste ce qu’elle ordonne ou permet, & injuste ce qu’elle défend.

Juste, en Musique, est opposé à faux ; & cette épithete se donne à tout intervalle dont les sons sont exactement dans le rapport qu’ils doivent avoir. Mais ce mot s’applique spécialement aux consonnances parfaites. Les imparfaites peuvent être majeures ou mineures, mais celles-ci sont nécessairement justes ; dès qu’on les altere d’un semi-ton, elles deviennent fausses, & par conséquent dissonnantes. (S)

Juste, (Peinture.) un dessein juste, conforme à l’original ; dessiner avec justesse, c’est à-dire avec précision, exactitude.

Juste, (Commerce.) en fait de poids, ce qui est en équilibre, ce qui ne panche pas plus d’un côté que de l’autre ; on le dit des balances.

Peser juste, c’est ne point donner de trait ; on pese ainsi l’or, l’argent, les diamans, dont le bon poids apporteroit trop de préjudice au vendeur. La plûpart des marchandises se pesent en donnant du trait, c’est à-dire en chargeant assez le bassin où on les met pour emporter celui où est le poids.

Auner juste, c’est auner bois à bois, & sans pouce évent. Voyez Auner & évent, Dictionnaire de Commerce.

Juste, s. m. (Gram. Tail.) c’est un vêtement de femmes ; il a des manches. Il s’applique exactement sur le corps. Si l’on en porte un, il s’agraffe ou se lace par-devant ou par-derriere. Il est échancré, & laisse voir la poitrine & la gorge ; il prend bien, & fait valoir la taille ; il a de petites basques par-derriere & par-devant. La mode en est passée à la ville ; nos paysanes sont en juste, & quand elles sont jolies, sous ce vêtement elles en paroissent encore plus élégantes & plus jolies.

JUSTESSE, s. f. (Gramm.) ce mot qu’on emploie également au propre & au figuré, désigne en général l’exactitude, la régularité, la précision. Il se dit au figuré en matiere de langage, de pensées, d’esprit, de goût, & de sentiment.

La justesse du langage consiste à s’expliquer en termes propres, choisis & liés ensemble, qui ne disent ni trop ni trop peu. Cette justesse extreme dans le choix, l’union & l’arrangement des paroles, est essentielle aux sciences exactes ; mais dans celles de l’imagination, cette justesse trop rigoureuse affoiblit les pensées, amortit le feu de l’esprit, & desseche le discours. Il faut oser à propos, sur tout en Poésie, bannir cet esclavage scrupuleux, qui par attachement à la justesse servile ne laisse rien de libre, de naturel & de brillant. « Je l’aimois inconstant, qu’eussai-je fait fidele ! » est une inexactitude de langage à laquelle Racine devoit se livrer, dès que la justesse de la pensée s’y trouvoit énergiquement peinte.

La justesse de la pensée consiste dans la vérité & la parfaite convenance au sujet ; & c’est ce qui fait la solide beauté du discours. Les pensées sont plus ou moins belles, selon qu’elles sont plus ou moins conformes à leur objet. La conformité entiere fait la justesse de la pensée ; de sorte qu’une pensée juste est, à proprement parler, une pensée vraie de tous les côtés, & dans tous les jours qu’on la peut regarder. Le P. Bouhours n’a pas eu tort de donner pour exemple de cette justesse, l’épigramme d’Ausone sur Didon, & qui a été très-heureusement rendue dans notre langue.

Pauvre Didon où t’a réduite
De tes maris le triste sort ;
L’un en mourant cause ta fuite,
L’autre en fuyant cause ta mort.