Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 9.djvu/867

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mortel, foible mortel, à qui le sort prospere
Fait goûter de ses dons les charmes dangereux,
Connois quelle est des rois la faveur passagere ;
Contemple Barmécide, & tremble d’être heureux.

Ce dernier vers est d’une grande beauté. La langue arabe avoit l’avantage d’être perfectionnée depuis long-tems ; elle étoit fixée avant Mahomet, & ne s’est point altérée depuis. Aucun des jargons qu’on parloit alors en Europe, n’a pas seulement laissé la moindre trace. De quelque côté que nous nous tournions, il faut avouer que nous n’existons que d’hier. Nous allons plus loin que les autres peuples en plus d’un genre, & c’est peut-être parce que nous sommes venus les derniers.

Si l’on envisage à présent la religion musulmane, on la voit embrassée par toutes les Indes, & par les côtes orientales de l’Afrique où ils trafiquoient. Si on regarde leurs conquêtes, d’abord le calife Aaron Rachild impose un tribut de soixante-dix mille écus d’or par an à l’impératrice Irene. L’empereur Nicéphore ayant ensuite refusé de payer le tribut, Aaron prend l’île de Chypre, & vient ravager la Grèce. Almamon son petit-fils, prince d’ailleurs si recommandable pour son amour pour les sciences & par son savoir, s’empare par ses lieutenans de l’île de Crete en 826. Les Musulmans bâtirent Candie, qu’ils ont reprise de nos jours.

En 828, les mêmes Africains qui avoient subjugué l’Espagne, & fait des incursions en Sicile, reviennent encore désoler cette île fertile, encouragés par un sicilien nommé Ephémius, qui ayant, à l’exemple de son empereur Michel, épousé une religieuse, poursuivi par les lois que l’empereur s’étoit rendues favorables, fit à peu-près en Sicile ce que le comte Julien avoit fait en Espagne.

Ni les empereurs grecs, ni ceux d’occident, ne purent alors chasser de Sicile les Musulmans, tant l’orient & l’occcident étoient mal-gouvernés ! Ces conquérans alloient se rendre maîtres de l’Italie, s’ils avoient été unis ; mais leurs fautes sauverent Rome, comme celles des Carthaginois la sauverent autrefois. Ils partent de Sicile en 846 avec une flotte nombreuse. Ils entrent par l’embouchure du Tibre ; & ne trouvant qu’un pays presque desert, ils vont assiéger Rome. Ils prirent les dehors ; & ayant pillé la riche église de S. Pierre hors les murs, ils leverent le siege pour aller combattre une armée de François, qui venoit secourir Rome, sous un général de l’empereur Lothaire. L’armée françoise fut battue ; mais la ville rafraîchie fut manquée, & cette expédition, qui devoit être une conquête, ne devint par leur mésintelligence qu’une incursion de barbares.

Ils revinrent bien-tôt avec une armée formidable, qui sembloit devoir détruire l’Italie, & faire une bourgade mahométane de la capitale du Christianisme. Le pape Leon IV. prenant dans ce danger une autorité que les généraux de l’empereur Lothaire sembloient abandonner, se montra digne, en défendant Rome, d’y commander en souverain.

Il avoit employé les richesses de l’Eglise à réparer les murailles, à élever des tours, à tendre des chaînes sur le Tibre. Il arma les milices à ses dépens, engagea les habitans de Naples & de Gayette à venir défendre les côtes & le port d’Ostie, sans manquer à la sage précaution de prendre d’eux des ôtages, sachant bien que ceux qui sont assez puissans pour nous secourir, le sont assez pour nous nuire. Il visita lui-même tous les postes, & reçut les Sarrasins à leur descente, non pas en équipage de guerrier, ainsi qu’en avoit usé Goslin évêque de Paris, dans une occasion encore plus pressante, mais comme un pontife qui exhortoit un peuple chrétien, & comme un roi qui veilloit à la sureté de ses sujets.

Il étoit né romain ; le courage des premiers âges de la république revivoit en lui dans un tems de lâcheté & de corruption, tel qu’un des beaux monumens de l’anciene Rome, qu’on trouve quelquefois dans les ruines de la nouvelle. Son courage & ses soins furent secondés. On reçut vaillamment les Sarrasins à leur descente ; & la tempête ayant dissipé la moitié de leurs vaisseaux, une partie de ces conquérans, échapés au naufrage, fut mise à la chaîne.

Le pape rendit sa victoire utile, en faisant travailler aux fortifications de Rome, & à ses embellissemens, les mêmes mains qui devoient les détruire. Les Mahométans resterent cependant maîtres du Garillan, entre Capoue & Gayette ; mais plutôt comme une colonie de corsaires indépendans, que comme des conquérans disciplinés.

Voilà donc au neuvieme siecle, les Musulmans à la fois à Rome & à Constantinople, maîtres de la Perse, de la Syrie, de l’Arabie, de toutes les côtes d’Afrique jusqu’au Mont-Atlas, & des trois quarts de l’Espagne : mais ces conquerans ne formerent pas une nation comme les Romains, qui étendus presque autant qu’eux, n’avoient fait qu’un seul peuple.

Sous le fameux calife Almamon vers l’an 815, un peu après la mort de Charlemagne, l’Egypte étoit indépendante, & le grand Caire fut la résidence d’un autre calife. Le prince de la Mauritanie Tangitane, sous le titre de miramolin, étoit maître absolu de l’empire de Maroc. La Nubie & la Lybie obéissoient à un autre calife. Les Abdérames qui avoient fondé le royaume de Cordoue, ne purent empêcher d’autres Mahométans de fonder celui de Toléde. Toutes ces nouvelles dynasties révéroient dans le calife, le successeur de leur prophete. Ainsi que les chrétiens, alloient en foule en pélerinage à Rome, les Mahométans de toutes les parties du monde, alloient à la Mecque, gouvernée par un chérif que nommoit le calife ; & c’étoit principalement par ce pélerinage, que le calife, maître de la Mecque, étoit vénérable à tous les princes de sa croyance ; mais ces princes distinguant la religion de leurs intérêts, dépouilloient le calife en lui rendant hommage.

Cependant les arts fleurissoient à Cordoue ; les plaisirs recherchés, la magnificence, la galanterie régnoient à la cour des rois Maures. Les tournois, les combats à la barriere, sont peut-être de l’invention de ces Arabes. Ils avoient des spectacles, des théatres, qui tout grossiers qu’ils étoient, montroient encore que les autres peuples étoient moins polis que ces Mahométans : Cordoue étoit le seul pays de l’occident, où la Géométrie, l’Astronomie, la Chimie, la Médecine, fussent cultivées. Sanche le gros, roi de Léon, fut obligé de s’aller mettre à Cordoue en 956, entre les mains d’un médecin arabe, qui, invité par le roi, voulut que le roi vînt à lui.

Cordoue est un pays de délices, arrosé par le Guadalquivir, où des forêts de citronniers, d’orangers, de grenadiers, parfument l’air, & où tout invite à la mollesse. Le luxe & le plaisir corrompirent enfin les rois musulmans ; leur domination fut au dixieme siecle comme celle de presque tous les princes chrétiens, partagée en petits états. Toléde, Murcie, Valence, Huesca même eurent leurs rois ; c’étoit le tems d’accabler cette puissance divisée, mais ce tems n’arriva qu’au bout d’un siecle ; d’abord en 1085 les Maures perdirent Toléde, & toute la Castille neuve se rendit au Cid. Alphonse, dit le batailleur, prit sur eux Sarragoce en 1114 ; Alphonse de Portugal leur ravit Lisbonne en 1147 ; Ferdinand III. leur enleva la ville délicieuse de Cordoue en 1236, & les chassa de Murcie & de Séville : Jac-