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solue de la jusquiame, & son action particuliere sur les fonctions de l’ame. Simon Scultzius, ephem. nat. cur. ann. 4. & 5. decad. j. observ. 124. raconte que quatre jeunes écoliers & leurs cuisiniers, ayant mangé par mégarde des racines de jusquiame & de panais bouillies avec du bœuf, avoient eu l’esprit fort troublé ; qu’ils étoient devenus comme furieux ; que d’abord ils s’étoient querellés, & ensuite battus avec tant d’acharnement, que si on ne les eût séparés, ils se seroient peut-être tués ; qu’ils faisoient des gestes ridicules, & étoient remplis d’imaginations singulieres. Geoffroy, de qui nous venons de copier cet extrait, a ramassé dans sa matiere medicale, article Hyoscyamus, une suffisante quantité de faits qui confirment ce que nous avons déja avancé ; savoir, que la décoction de jusquiame donnée en lavement, que sa fumée & ses exhalaisons, sur-tout lorsqu’elles étoient resserrées dans un lieu fermé, pouvoient produire les funestes effets que nous venons de rapporter.

On prévient l’action vénéneuse de la jusquiame, comme celle des autres poisons irritans, en procurant son évacuation par le vomissement, si l’on est appellé à tems, faisant avaler après à grandes doses, des bouillons gras, du lait, du beurre fondu, &c. insistant sur les purgatifs doux & lubréfians, & sollicitant enfin l’évacuation de la peau par des diaphorétiques legers. Voyez Poison.

La jusquiame entre malgré ses mauvaises qualités dans plusieurs compositions pharmaceutiques, la plûpart destinées à l’usage extérieur ; mais heureusement en trop petite quantité, pour qu’elle puisse les rendre dangereuses.

L’huile exprimée des semences de jusquiame ne participe point des qualités vénéneuses de cette plante.

En général, la Medecine ne perdroit pas beaucoup, quand on banniroit absolument de l’ordre des remedes l’une & l’autre jusquiame. (b)

JUSSION, s. f. (Jurisprud.) signifie ordre, commandement. Ce terme n’est guere usité qu’en parlant de certaines lettres du prince, qu’on appelle lettres de jussion, par lesquelles il enjoint très-étroitement à une cour de procéder à l’enregistrement de quelque ordonnance, édit, déclaration, ou autres lettres-patentes. Quand les premieres lettres de jussion n’ont pas eu leur effet, le prince en donne de secondes, qu’on appelle itérative jussion, ou secondes lettres de jussion. (A)

JUSTE-AU-CORPS, s. m. (Gram. Taill.) vêtement de dessus ; c’est ce que nous appellons plus communément un habit. Il y a des manches & des poches ; il se boutonne par-devant jusqu’à la ceinture, & descend jusqu’aux genoux.

JUSTE, INJUSTE, (Morale.) ces termes se prennent communément dans un sens fort vague, pour ce qui se rapporte aux notions naturelles que nous avons de nos devoirs envers le prochain. On les détermine davantage, en disant que le juste est ce qui est conforme aux lois civiles, par opposition à l’équitable, qui consiste dans la seule convenance avec les lois naturelles. Enfin, le dernier degré de précision va à n’appeller juste, que ce qui se fait en vertu du droit parfait d’autrui, reservant le nom d’équitable pour ce qui se fait eu égard au droit imparfait. Or on appelle droit parfait, celui qui est accompagné du pouvoir de contraindre. Le contrat de louage donne au propriétaire le droit parfait d’exiger du locataire le payement du loyer ; & si ce dernier élude le payement, on dit qu’il commet une injustice. Au contraire, le pauvre n’a qu’un droit imparfait à l’aumône qu’il demande : le riche qui la lui refuse peche donc contre la seule équité, & ne sauroit dans le sens propre être qualifié d’injuste.

Les noms de justes & d’injustes, d’équitables & d’iniques, donnés aux actions, portent par conséquent sur leur rapport aux droits d’autrui ; au lieu qu’en les considérant relativement à l’obligation, ou à la loi, dont l’obligation est l’ame, les actions sont dites dûes ou illicites ; car une même action peut être appellée bonne, dûe, licite, honnête, suivant les différens points de vûe sous lesquels on l’envisage.

Ces distinctions posées, il me paroît assez aisé de résoudre la fameuse question, s’il y a quelque chose de juste ou d’injuste avant la loi.

Faute de fixer le sens des termes, les plus fameux moralistes ont échoué ici. Si l’on entend par le juste & l’injuste, les qualités morales des actions qui lui servent de fondement, la convenance des choses, les lois naturelles : sans contredit, toutes ces idées sont fort antérieures à la loi, puisque la loi bâtit sur elles, & ne sauroit leur contredire : mais si vous prenez le juste & l’injuste pour l’obligation parfaite & positive de regler votre conduite, & de déterminer vos actions suivant ces principes, cette obligation est postérieure à la promulgation de la loi, & ne sauroit exister qu’après la loi. Grotius, d’après les Scholastiques, & la plûpart des anciens philosophes, avoit affirmé qu’en faisant abstraction de toutes sortes de lois, il se trouve des principes sûrs, des vérités qui servent à démêler le juste d’avec l’injuste. Cela est vrai, mais cela n’est pas exactement exprimé : s’il n’y avoit point de lois, il n’y auroit ni juste ni injuste, ces dénominations survenant aux actions par l’effet de la loi : mais il y auroit toûjours dans la nature des principes d’équité & de convenance, sur lesquels il faudroit regler les lois, & qui munis une fois de l’autorité des lois, deviendroient le juste & l’injuste. Les maximes gravées, pour ainsi dire, sur les tables de l’humanité, sont aussi anciennes que l’homme, & ont précédé les lois auxquelles elles doivent servir de principes ; mais ce sont les lois qui, en ratifiant ces maximes, & en leur imprimant la force de l’autorité & des sanctions, ont produit les droits parfaits, dont l’observation est appellée justice, la violation injustice. Puffendorf en voulant critiquer Grotius, qui n’a erré que dans l’expression, tombe dans un sentiment réellement insoutenable, & prétend qu’il faut absolument des lois pour fonder les qualités morales des actions. (Droit naturel, liv. I. c. xj. n. 6.). Il est pourtant constant que la premiere chose à quoi l’on fait attention dans une loi, c’est si ce qu’elle porte est fondé en raison. On dit vulgairement qu’une loi est juste ; mais c’est une suite de l’impropriété que j’ai déja combattue. La loi fait le juste ; ainsi il faut demander si elle est raisonnable, équitable ; & si elle est telle, ses arrêts ajouteront aux caracteres de raison & d’équité, celui de justice. Car si elle est en opposition avec ces notions primitives, elle ne sauroit rendre juste ce qu’elle ordonne. Le fonds fourni par la nature est une base sans laquelle il n’y a point d’édifice, une toile sans laquelle les couleurs ne sauroient être appliquées. Ne résulte-t-il donc pas évidemment de ce premier requisitum de la loi, qu’aucune loi n’est par elle-même la source des qualités morales des actions, du bon, du droit, de l’honnête ; mais que ces qualités morales sont fondées sur quelqu’autre chose que le bon plaisir du législateur, & qu’on peut les découvrir sans lui ? En effet, le bon ou le mauvais en Morale, comme par-tout ailleurs, se fonde sur le rapport essentiel, ou la disconvenance essentielle d’une chose avec une autre. Car si l’on suppose des êtres créés, de façon qu’ils ne puissent subsister qu’en se soutenant les uns les autres, il est clair que leurs actions sont convenables ou ne le sont pas, à proportion qu’elles s’approchent ou qu’elles s’éloignent de ce but ; & que