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poids d’environ trente livres, jusqu’à ce qu’elle fasse une pâte bien grasse & bien fine. Ainsi faite, on peut l’employer sur le champ, ou la conserver pendant plusieurs mois de suite sans qu’elle perde de sa qualité, pourvû que l’on ait soin de la couvrir & de la mettre à l’abri de la poussiere, du soleil & de la pluie.

Il faut encore prendre garde quand on la rebat pour s’en servir de ne mettre que très-peu d’eau, & même point du tout s’il se peut, car à force de bras, elle devient assez grasse & assez liquide ; c’est pourquoi ce sera plutôt la paresse des ouvriers, & non la nécessité, qui les obligera d’en remettre pour la rebattre ; ce qui pourroit très-bien, si l’on n’y prenoit garde, la dégraisser, & diminuer beaucoup de sa bonté.

Ce mortier doit être employé depuis le mois d’Avril jusqu’au mois de Juillet, parce qu’alors il n’éclate jamais, ce qui est une de ses propriétés remarquables, la plûpart des cimens étant sujets à se gerser.

Il arrive quelquefois qu’on la mèle avec un sixieme de tuileau pilé ; M. Belidor souhaiteroit qu’on la mélât plutôt avec de la terrasse de Hollande ; ce qui seroit, dit-il, un ciment le plus excellent qu’il fut possible d’imaginer, pour la construction des ouvrages aquatiques.

Dans les provinces où la bonne chaux est rare, on en emploie quelquefois de deux especes en même tems ; l’une faite de bonne pierre dure, qui est sans contredit la meilleure, & qu’on appelle bon mortier, sert aux ouvrages de conséquence ; & l’autre faite de pierre commune, qui n’a pas une bonne qualité, & qu’on appelle pour cela mortier blanc, s’emploie dans les fondations & dans les gros ouvrages. On se sert encore d’un mortier qu’on appelle bâtard, & qui est fait de bonne & mauvaise chaux, qu’on emploie aussi dans les gros murs, & qu’on se garde bien d’employer dans les édifices aquatiques.

Quelques-uns prétendent que l’urine dans laquelle on a détrempé de la suie de cheminée, mêlée avec l’eau dont on se sert pour corroyer le mortier, le fait prendre promptement ; mais ce qu’il y a de vrai, c’est que le sel armoniac dissout dans l’eau de riviere, qui sert à corroyer le mortier, le fait prendre aussi promptement que le plâtre ; ce qui peut être d’un bon usage dans les pays où il est très-rare ; mais si au lieu de sable on pulvérisoit de la même pierre avec laquelle on a fait la chaux, & qu’on s’en servît au lieu de plâtre, ce mortier seroit sans doute beaucoup meilleur.

Le mortier, dit Vitruve, ne sauroit se lier avec lui-même, ni faire une bonne liaison avec les pierres, s’il ne reste longtems humide ; car lorsqu’il est trop tôt sec, l’air qui s’y introduit dissipe les esprits volatils du sable & de la pierre à mesure que la chaux les attire à elle, & les empêche d’y pénétrer pour lui donner la dureté nécessaire ; ce qui n’arrive point lorsque le mortier est longtems humide ; ces sels ayant alors le tems de pénétrer dans la chaux. C’est pourquoi dans les ouvrages qui sont dans la terre, on met moins de chaux dans le mortier, parce que la terre étant naturellement humide, il n’a pas tant besoin de chaux pour conserver son humidité ; ainsi une plus grande quantité de chaux ne fait pas plus d’effet pendant peu de tems, qu’une moindre pendant un long tems. C’est par cette raison là que les anciens faisoient leurs murs d’une très-grande épaisseur, persuadés qu’ils étoient qu’il leur falloit à la vérité beaucoup de tems pour sécher, mais aussi qu’ils en devenoient beaucoup plus solides.

Des excavations des terres, & de leurs transports. On entend par excavation, non-seulement la fouille des terres pour la construction des murs de fondation, mais encore celles qu’il est nécessaire de faire pour dresser & applanir des terrains de cours, avant-cours,

basse-cours, terrasses, &c. ainsi que les jardins

de ville ou de campagne ; car il n’est guere possible qu’un terrein que l’on choisit pour bâtir, n’ait des inégalités qu’il ne faille redresser pour en rendre l’usage plus agréable & plus commode.

Il y a deux manieres de dresser le terrain, l’une qu’on appelle de niveau, & l’autre selon sa pente naturelle ; dans la premiere on fait usage d’un instrument appellé niveau d’eau, qui facilite le moyen de dresser sa surface dans toute son étendue avec beaucoup de précision ; dans la seconde on n’a besoin que de raser les butes, & remplir les cavités avec les terres qui en proviennent. Il se trouve une infinité d’auteurs qui ont traité de cette partie de la Géométrie pratique assez amplement, pour qu’il ne soit pas besoin d’entrer dans un trop long détail.

L’excavation des terres, & leur transport, étant des objets très-considérables dans la construction, on peut dire avec vérité que rien ne demande plus d’attention ; si on n’a pas une grande expérience à ce sujet, bien loin de veiller à l’économie, on multiplie la dépense sans s’en appercevoir ; ici parce qu’on est obligé de rapporter des terres par de longs circuits, pour n’en avoir pas assez amassé avant que d’élever des murs de maçonnerie ou de terrasse ; là, parce qu’il s’en trouve une trop grande quantité, qu’on est obligé de transporter ailleurs, quelquefois même auprès de l’endroit d’où on les avoit tirés : de maniere que ces terres au-lieu de n’avoir été remuées qu’une fois, le sont deux, trois, & quelquefois plus, ce qui augmente beaucoup la dépense ; & il arrive souvent que si on n’a pas bien pris ses précautions, lorsque les fouilles & les fondations sont faites, on a dépensé la somme que l’on s’étoit proposée pour l’ouvrage entier.

La qualité du terrein que l’on fouille, l’éloignement du transport des terres, la vigilance des inspecteurs & des ouvriers qui y sont employés, la connoissance du prix de leurs journées, la provision suffisante d’outils qu’ils ont besoin, leur entretien, les relais, le soin d’appliquer la force, ou la diligence des hommes aux ouvrages plus ou moins pénibles, & la saison où l’on fait ces sortes d’ouvrages, sont autant de considérations qui exigent une intelligence consommée, pour remédier à toutes les difficultés qui peuvent se rencontrer dans l’exécution. C’est-là ordinairement ce qui fait la science & le bon ordre de cette partie, ce qui détermine la dépense d’un bâtiment, & le tems qu’il faut pour l’élever. Par la négligence de ces différentes observations & le desir d’aller plus vîte, il résulte souvent plusieurs inconvéniens. On commence d’abord par fouiller une partie du terrein, sur laquelle on construit ; alors l’attelier se trouve surchargé d’équipages, & d’ouvriers de différente espece, qui exigent chacun un ordre particulier. D’ailleurs ces ouvriers, quelquefois en grand nombre, appartenant à plusieurs entrepreneurs, dont les intérêts sont différens, se nuisent les uns aux autres, & par conséquent aussi à l’accélération des ouvrages. Un autre inconvénient est, que les fouilles & les fondations étant faites en des tems & des saisons différentes, il arrive que toutes les parties d’un bâtiment où l’on a préféré la diligence à la solidité ayant été bâtis à diverses reprises, s’affaissent inégalement, & engendrent des surplombs, lézardes[1], &c.

Le moyen d’user d’économie à l’égard du transport des terres, est non-seulement de les transporter le moins loin qu’il est possible, mais encore d’user des charrois les plus convenables ; ce qui doit en décider, est la rareté des hommes, des bêtes de somme ou de voitures, le prix des fourages, la situation des lieux, & d’autres circonstances encore

  1. Especes de crevasses.