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liers, dans la plûpart des affaires ; ils prenoient connoissance des causes réelles & mixtes où les clercs avoient intérêt, & trouvoient toujours moyen de les attirer, soit sous prétexte de connexité, ou par reconvention ; ils revendiquoient les criminels qui se disoient clercs, quoiqu’ils ne portassent ni l’habit ni la tonsure ; ils donnoient la tonsure à tous ceux qui se présentoient, pour augmenter le nombre de leurs justiciables, & mettoient au nombre d’esclaves tous ceux qui avoient la tonsure, quoiqu’ils fussent mariés. Les meubles des clercs n’étoient sujets qu’à la jurisdiction ecclésiastique, sous prétexte que les meubles suivent la personne.

Ils connoissoient de l’exécution des contrats auxquels on avoit apposé la clause du serment, clause qui étoit devenue de style ; & en général toutes les fois qu’il pouvoit y avoir du péché ou de la mauvaise foi dans l’inexécution de quelque acte, c’en étoit assez pour attirer la cause devant les juges d’Eglise, au moyen de quoi ils connoissoient de tous les contrats.

L’exécution des testamens étoit aussi de leur compétence, à cause des legs pieux, ce qui entraînoit les scellés & les inventaires.

Ils connoissoient aussi des conventions matrimoniales, parce que le douaire se constituoit en face d’Eglise, à la porte du Moustier.

Les veuves, les orphelins, les mineurs, les pauvres étoient sous leur protection, & par-tant leurs justiciables.

Ils excommunioient ceux qui étoient en demeure de payer les sommes par eux dûes, & obligeoient les juges laïques de contraindre les excommuniés à se faire absoudre, sous peine d’être eux-mêmes excommuniés, défendant de rien vendre aux excommuniés, ni de travailler pour eux, mettant les lieux en interdit quand les juges ne leur obéissoient pas ; ils joignoient même aux censures des amendes pécuniaires, ce que dans l’origine les juges d’église n’avoient point le pouvoir de faire, ne pouvant selon leur état imposer que des peines spirituelles.

Ils prétendoient aussi que c’étoit à eux à suppléer la justice séculiere lorsqu’elle étoit suspecte aux parties, ou qu’elle tardoit un peu à faire droit.

Selon eux dans les causes difficiles, sur-tout par rapport au point de droit, & quand il y avoit partage d’opinion entre les juges, c’étoit à l’Eglise à décider, ce qu’ils appuyoient sur ce passage du Deutéronome : Si difficile & ambiguum apud te judicium esse perspexeris, & judicium intra portas videris variari ; venies ad sacerdotes levitici generis & ad judicem qui fuerit illo tempore ; qui indicabunt tibi veritatem, & facies quæcumque dixerint qui præsunt in loco quem elegerit dominus, appliquant ainsi une loi de police de l’ancien Testament qui ne convenoit plus au tems présent.

Enfin ils qualifioient de crimes ecclésiastiques, même à l’égard des laïques, la plupart des crimes, tels que le concubinage, l’usure, le parjure, ensorte qu’ils s’arrogeoient la connoissance de toutes les affaires criminelles, aussi bien que des affaires civiles ; il ne restoit presque plus rien aux jurisdictions séculieres.

Ces entreprises de la jurisdiction ecclésiastique sur la jurisdiction séculiere firent le sujet de la fameuse dispute entre Pierre de Cugneres, avocat du roi, & Pierre Bertrandi, évêque d’Autun, devant Philippe de Valois à Vincennes en 1329.

Pierre de Cugneres soutint que l’Eglise n’avoit que la jurisdiction purement spirituelle, & qu’elle n’avoit pas droit de juger des causes temporelles ; il cotta 66 chefs, sur lesquels il soutint que les ecclé-

siastiques excédoient leur pouvoir, notamment dans

les matieres temporelles dont on a vu ci-devant que les juges d’Eglise s’étoient attribué la connoissance.

Bertrandi prétendit au contraire que les ecclésiastiques étoient capables de la jurisdiction temporelle aussi bien que de la spirituelle, il répondit à chacun des 66 articles & en abandonna quelques-uns comme des abus que l’Eglise désavouoit ; mais il défendit la plus grande partie alléguant la coutume & la possession & les concessions expresses ou tacites des princes qui avoient cru ne pouvoir mieux faire que de confier l’exercice de cette portion de la justice aux juges d’Eglise ; il exhorta le roi à ne rien innover, & la chose en demeura là pour lors.

Mais ce qu’il est important d’observer, c’est que Pierre de Cugneres qualifia d’abus les entreprises des ecclésiastiques sur la jurisdiction temporelle, & c’est à cette époque que l’on rapporte l’origine des appels comme d’abus dont l’objet est de contenir les juges d’Eglise dans les bornes de leur pouvoir, & de les obliger de se conformer aux anciens canons, aux lois & aux ordonnances du royaume dans l’exercice de la jurisdiction qui leur est confiée.

On a encore apporté deux tempéramens pour limiter la jurisdiction ecclésiastique.

L’un est la distinction du délit commun d’avec le délit privilégié ; l’Eglise connoît du délit commun des clercs ; le juge royal connoît du cas privilégié.

L’autre est la distinction que l’on fait dans les matieres ecclésiastiques du pétitoire d’avec le possessoire ; le juge d’Eglise connoît du pétitoire, mais le juge royal connoît seul du possessoire.

Ce fut principalement l’ordonnance de 1539 qui commença à renfermer la jurisdiction ecclésiastique dans les justes bornes. François I. défendit à tous ses sujets de faire citer les laïcs devant les juges d’Eglise dans les actions pures personnelles, sous peine de perdre leur cause & d’amende arbitraire, défendit aussi par provision à tous juges d’Eglise de délivrer aucunes citations verbales ni par écrit pour citer les laïcs dans les matieres pures personnelles, sous peine aussi d’amende arbitraire. Cette même ordonnance porte que c’est sans préjudice de la jurisdiction ecclésiastique dans les matieres de sacrement & autres purement spirituelles & ecclésiastiques dont ils peuvent connoître contre les laïcs selon la forme de droit, & aussi sans préjudice de la jurisdiction temporelle & séculiere contre les clercs mariés & non mariés, faisant & exerçant états ou négociations pour raison desquels ils sont tenus & accoutumés de répondre en cour séculiere, pour lesquels ils continueront d’y procéder tant en matiere civile que criminelle.

Il est aussi ordonné que les appels comme d’abus interjettés par les prêtres & autres personnes ecclésiastiques dans les matieres de discipline & de correction ou autres pures personnelles, & non dépendantes de réalité, n’auront aucun effet suspensif.

L’ordonnance d’Orléans régla que les prélats & leurs officiers n’useroient de censures ecclésiastiques que pour des crimes scandaleux & publics ; mais comme cette disposition donnoit lieu à beaucoup de difficultés, Charles IX. par ses lettres patentes de l’an 1571, régla que les prélats pourroient user des censures dans les cas qui leur sont permis par les saints decrets & conciles.

L’édit de 1695, concernant la jurisdiction ecclésiastique, ordonne que les ordonnances, édits & déclarations rendus en faveur des ecclésiastiques concernant leur jurisdiction volontaire & contentieuse seront exécutés.

Les principales dispositions de cette édit sont que la connoissance & le jugement de la doctrine con-