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lunettes, par rapport aux différens observateurs & à la différente constitution de l’atmosphere. Les moyens qu’il propose de remédier à cet inconvénient, sont 1°. de faire en sorte que l’astre passe à peu de distance du centre du champ ; 2°. de se servir d’un objectif coloré ; 3°. de diminuer beaucoup l’étendue de l’objectif en couvrant les bords d’un diaphragme ; ce qui suppose un objectif bien centré. Voyez Centrer. Voyez aussi un plus grand détail sur ces différens objets dans l’ouvrage de M. Bouguer, sur la figure de la terre, p. 208 & suiv. (O)

Lunettes, (Hist. des invent. mod.) les lunettes, ou plutôt les verres à lunettes qu’on applique sur le nez ou devant les yeux pour lire, écrire, & en général, pour mieux découvrir les objets voisins que par le secours des yeux seuls, ne sont pas à la vérité d’une invention aussi récente que les lunettes d’approche ; car elles les ont précédé de plus de trois siecles, mais leur découverte appartient aux modernes, & les anciens n’en ont point eu connoissance.

Je sai bien que les Grecs & les Romains avoient des ouvriers qui faisoient des yeux de verre, de crystal, d’or, d’argent, de pierres précieuses pour les statues, principalement pour celles des dieux. On voit encore des têtes de leurs divinités, dont les yeux sont creusés : telles sont celles d’un Jupiter Ammon, d’une Bacchante, d’une idole d’Egypte, dont on a des figures. Pline parle d’un lion en marbre, dont les yeux étoient des émeraudes ; ceux de la Minerve du temple de Vulcain à Athènes, qui, selon Pausanias, brilloient d’un verd de mer, n’étoient sans doute autre chose que des yeux de béril. M. Buonarotti avoit dans son cabinet quelques petites statues de bronze avec des yeux d’argent. On nommoit faber ocularius, l’ouvrier qui faisoit ces sortes d’ouvrages ; & ce terme se trouve dans les marbres sépulchraux ; mais il ne signifioit qu’un faiseur d’yeux postiches ou artificiels, & nullement un faiseur de lunettes, telles que celles dont nous faisons usage.

Il seroit bien étonnant si les anciens les eussent connues, que l’histoire n’en eût jamais parlé à propos de vieillards & de vûe courte. Il seroit encore plus surprenant, que les Poëtes de la Grece & de Rome, ne se fussent jamais permis à ce sujet aucun de ces traits de satyre ou de plaisanterie, qu’ils ne se sont pas refusé à tant d’autres égards. Comment Pline qui ne laisse rien échapper, auroit-il obmis cette découverte dans son ouvrage, & particulierement dans le livre VII. ch. lvj. qui traite des inventeurs des choses ? Comment les medecins grecs & romains, qui indiquent mille moyens pour soulager la vûe, ne disent ils pas un mot de celui des lunettes ? Enfin, comment leur usage qui est fondé sur les besoins de l’humanité, auroit-il pû cesser ? Comment l’art de faire un instrument d’optique si simple, & qui ne demande ni talent, ni génie, se seroit-il perdu dans la suite des tems ? Concluons donc, que les lunettes sont une invention des modernes, & que les anciens ont ignoré ce beau secret d’aider & de soulager la vûe.

C’est sur la fin du xiij. siecle, entre l’an 1280 & 1300, que les lunettes furent trouvées ; Redi témoigne avoir eu dans sa bibliotheque un écrit d’un Scandro Dipopozzo, composé en 1298, dans lequel il dit : « je suis si vieux que je ne puis plus lire ni écrire sans verres qu’on nomme lunettes, senza occhiali ». Dans le dictionnaire italien de l’académie de la Crusca, on lit ces paroles au mot occhiali : « frere Jordanus de Rivalto, qui finit ses jours en 1311, a fait un livre en 1305, dans lequel il dit, qu’on a découvert depuis 20 ans l’art utile de polir des verres à lunettes ». Roger Bacon mort à Oxford en 1292, connoissoit cet art de travailler les verres ;

cependant ce fut vraissemblablement en Italie qu’on en trouva l’invention.

Maria Manni dans ses opuscules scientifiques, tome IV. & dans son petit livre intitulé de gl’occhiali del naso, qui parut en 1738, prétend que l’histoire de cette||découverte est dûe à Salvino de gl’armati, florentin, & il le prouve par son épitaphe. Il est vrai que Redi, dans sa lettre à Charles Dati, imprimée à Florence en 1678, in-4°. avoit donné Alexandre Spina dominicain, pour l’auteur de cette découverte ; mais il paroît par d’autres remarques du même Redi, qu’Alexandre Spina avoit seulement imité par son génie ces sortes de verres trouvés avant lui. En effet, dans la bibliotheque des peres de l’Oratoire de Pise, on garde un manuscrit d’une ancienne chronique latine en parchemin, où est marquée la mort du frere Alexandre Spina à l’an 1313, avec cet éloge : quæcumque vidit aut audivit facta, scivit, & facere ocularia ab aliquo primò facta, & communicare nolente, ipse fecit, & communicavit. Alexandre Spina n’est donc point l’inventeur des lunettes ; il en imita parfaitement l’invention, & tant d’autres avec lui y réussirent, qu’en peu d’années cet art fut tellement répandu par-tout, qu’on n’employoit plus que des lunettes pour aider la vûe. De-là vient que Bernard Gordon, qui écrivoit en 1300 son ouvrage intitulé, lilium Medicinæ, y déclare dans l’éloge d’un certain collyre pour les yeux, qu’il a la propriété de faire lire aux vieillards les plus petits caracteres, sans le secours des lunettes. (D. J.)

Lunette d’approche, (Hist. des inventions modernes.) cet utile & admirable instrument d’optique, qui rapproche la vûe des corps éloignés, n’a point été connu des anciens, & ne l’a même été des modernes, sous le nom de lunettes d’Hollande, ou de Galilée, qu’au commencement du dernier siecle.

C’est en vain qu’on allegue pour reculer cette date, que dom Mabillon déclare dans son voyage d’Italie, qu’il avoit vû dans un monastere de son ordre, les œuvres de Comestor écrites au treizieme siecle, ayant au frontispice le portrait de Ptolomée, qui contemple les astres avec un tube à quatre tuyaux ; mais dom Mabillon ne dit point que le tube fût garni de verres. On ne se servoit de tube dans ce tems-là, que pour diriger la vûe, ou la rendre plus nette, en séparant par ce moyen les objets qu’on regardoit, des autres dont la proximité auroit empêché de voir ceux-là bien distinctement.

Il est vrai que les principes sur lesquels se font les lunettes d’approche ou les télescopes, n’ont pas été ignorés des anciens géometres ; & c’est peut-être faute d’y avoir réfléchi, qu’on a été si long-tems sans découvrir cette merveilleuse machine. Semblable à beaucoup d’autres, elle est demeurée cachée dans ses principes, ou dans la majesté de la nature, pour me servir des termes de Pline, jusqu’à ce que le hasard l’ait mise en lumiere. Voici donc comme M. de la Hire rapporte dans les mémoires de l’acad. des Sciences, l’histoire de la découverte des lunettes d’approche ; & le récit qu’il en fait est d’après le plus grand nombre des historiens du pays.

Le fils d’un ouvrier d’Alcmaer, nommé Jacques Métius, ou plutôt Jakob Metzu, qui faisoit dans cette ville de la Nord-Hollande, des lunettes à porter sur le nez, tenoit d’une main un verre convexe, comme sont ceux dont se servent les presbytes ou vieillards, & de l’autre main un verre concave, qui sert pour ceux qui ont la vûe courte. Le jeune homme ayant mis par amusement ou par hasard le verre concave proche de son œil, & ayant un peu éloigné le convexe qu’il tenoit au devant de l’autre main, il s’apperçut qu’il voyoit au-travers de ces deux verres quelques objets éloignés beaucoup plus grands,