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caractere de justice. Il n’y en a que trop qui révoltent l’humanité, & trop d’autres qui sont contraires à la raison, à l’équité, & au but qu’on doit se proposer dans la sanction des lois.

La loi d’Henri II. qui condamnoit à mort une fille dont l’enfant avoit péri, au cas qu’elle n’eût point déclaré sa grossesse au magistrat, blessoit la nature. Ne suffisoit-il pas d’obliger cette fille d’instruire de son état une amie, une proche parente, qui veillât à la conservation de l’enfant ? Quel aveu pourroit-elle faire au fort du supplice de sa pudeur ? L’éducation a augmenté en elle l’idée de la conservation de cette pudeur, & à peine dans ces momens reste-t-il dans son ame une idée de la perte de la vie.

La loi qui prescrit dans plusieurs états, sous peine de mort, de revéler les conspirations auxquelles même on n’a pas trempé, est bien dure, du-moins ne doit-elle être appliquée dans les états monarchiques, qu’au seul crime de lese majesté au premier chef, parce qu’il est très-important de ne pas confondre les différens chefs de ce crime.

Nos lois ont puni de la peine du feu la magie, l’hérésie, & le crime contre nature, trois crimes dont on pourroit prouver du premier qu’il n’existe pas ; du second, qu’il est susceptible d’une infinité de distinctions, interpretations, limitations ; & du troisieme, qu’il est dangereux d’en répandre la connoissance ; & qu’il convient mieux de le proscrire sévérement par une police exacte, comme une infame violation des mœurs.

Mais sans perdre de tems à rassembler des exemples puisés dans les erreurs des hommes, nous avons un principe lumineux pour juger des lois criminelles de chaque peuple. Leur bonté consiste à tirer chaque peine de la nature particuliere du crime, & leur vice à s’en écarter plus ou moins. C’est d’après ce principe que l’auteur de l’esprit des lois a fait lui-même un code criminel : je le nomme code Montesquieu, & je le trouve trop beau, pour ne pas le transcrire ici, puisque d’ailleurs sa briéveté me le permet.

Il y a, dit-il, quatre sortes de crimes. Ceux de la premiere espece, choquent la religion, ceux de la seconde, les mœurs ; ceux de la troisieme, la tranquillité ; ceux de la quatrieme, la sûreté des citoyens. Les peines doivent dériver de la nature de chacune de ces especes.

Il ne faut mettre dans la classe des crimes qui intéressent la Religion, que ceux qui l’attaquent directement, comme sont tous les sacrileges simples ; car les crimes qui en troublent l’exercice, sont de la nature de ceux qui choquent la tranquillité des citoyens ou leur sûreté, & doivent être renvoyés à ces classes.

Pour que la peine des sacrileges simples soit tirée de la nature de la chose, elle doit consister dans la privation de tous les avantages que donne la Religion ; telles sont l’expulsion hors des temples, la privation de la société des fideles pour un tems ou pour toujours, la fuite de leur présence, les exécrations, les détestations, les conjurations.

Dans les choses qui troublent la tranquillité, ou la sûreté de l’état, les actions cachées sont du ressort de la justice humaine. Mais, dans celles qui blessent la divinité, là où il n’y a point d’action publique, il n’y a point de matiere de crime ; tout s’y passe entre l’homme & Dieu, qui sait la mesure & le tems de ses vengeances. Que si, confondant les choses, le magistrat recherche aussi le sacrilege caché, il porte une inquisition sur un genre d’action où elle n’est point nécessaire, il détruit la liberté des citoyens, en armant contre eux le zele des consciences timides, & celui des consciences hardies. Le mal est venu de cette idée, qu’il faut venger la divinité ; mais il faut faire honorer la divinité, & ne la venger jamais. Si

l’on se conduisoit par cette derniere idée, quelle seroit la fin des supplices ? Si les lois des hommes ont à venger un être infini, elles se régleront sur son infinité, & non pas sur les foiblesses, sur les ignorances, sur les caprices de la nature humaine.

La seconde classe des crimes, est de ceux qui sont contre les mœurs ; telles sont la violation de la continence publique ou particuliere, c’est-à-dire de la police, sur la maniere dont on doit jouir des plaisirs attachés à l’usage des sens, & à l’union des corps. Les peines de ces crimes doivent être tirées de la nature de la chose. La privation des avantages que la société a attachés à la pureté des mœurs, les amendes, la honte de se cacher, l’infamie publique, l’expulsion hors de la ville & de la société ; enfin, toutes les peines qui sont de la jurisdiction correctionnelle, suffisent pour reprimer la témérité des deux sexes. En effet ces choses sont moins fondées sur la méchanceté, que sur l’oubli ou le mépris de soi-même.

Il n’est ici question que de crimes qui intéressent uniquement les mœurs ; non de ceux qui choquent aussi la sureté publique, tels que l’enlevement & le viol, qui sont de la quatrieme espece.

Les crimes de la troisieme classe, sont ceux qui choquent la tranquillité. Les peines doivent donc se rapporter à cette tranquillité, comme la privation, l’exil, les corrections, & autres peines qui ramenent les esprits inquiets, & les font rentrer dans l’ordre établi.

Il faut restreindre les crimes contre la tranquillité, aux choses qui contiennent un simple lésion de police : car celles qui, troublant la tranquilité, attaquent en même tems la sûreté, doivent être mises dans la quatrieme classe.

Les peines de ces derniers crimes sont ce qu’on appelle des supplices. C’est une espece de talion, qui fait que la société refuse la sûreté à un citoyen qui en a privé, ou qui a voulu en priver un autre. Cette peine est tirée de la nature de la chose, puisée dans la raison, & dans les sources du bien & du mal. Un citoyen mérite la mort, lorsqu’il a violé la sûreté, au point qu’il a ôté la vie. Cette peine de mort est comme le remede de la société malade.

Lorsqu’on viole la sûreté à l’égard des biens, il peut y avoir des raisons pour que la peine soit capitale ; mais il vaudroit peut-être mieux, & il seroit plus de la nature, que la peine des crimes contre la sûreté des biens, fût punie par la perte des biens ; & cela devroit être ainsi si les fortunes étoient communes ou égales ; mais comme ce sont ceux qui n’ont point de biens qui attaquent plus volontiers celui des autres, il a fallu que la peine corporelle suppléât à la pécuniaire, du moins on a cru dans quelque pays qu’il le falloit.

S’il vaut mieux ne point ôter la vie à un homme pour un crime, lorsqu’il ne s’est pas exposé à la perdre par son attentat, il y auroit de la cruauté à punir de mort le projet d’un crime ; mais il est de la clémence d’en prévenir la consommation, & c’est ce qu’on fait en infligeant des peines modérées pour un crime consommé. (D. J.)

Loi de desrenne, étoit une maniere de procéder usitée dans l’ancienne coutume de Normandie, pour les matieres qui se terminent par desrenne ou simple loi ; elle y fut abolie. Desfontaines en fait mention chap. xxxiv. n. 2. Voyez Desrenne, & Loi simple. (A)

Loi diocésaine, (Hist. ecclés.) taxe que les évêques imposoient anciennement sur les ecclésiastiques de leur diocèse pour leurs visites ; c’étoit une espece de droit qui n’entroit point dans la jurisdiction spirituelle ou temporelle des évêques, mais émanoit de leur siege & de leur caractere, en les auto-