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& que ces manumissions ne seroient autorisées qu’en connoissance de cause ; ce qui fut ainsi ordonné dans la crainte que les mineurs ne fussent séduits par les caresses de leurs esclaves. Mais Justinien corrigea ce dernier chapitre de la loi Ælia Sentia, du-moins quant aux dernieres volontés, ayant ordonné par ses institutes que le maître âgé de 17 ans, pourroit affranchir ses esclaves par testament ; ce qu’il fixa depuis par sa novelle 119 au même âge auquel il est permis de tester. Il étoit encore ordonné par cette loi, par rapport aux donations entre mari & femme, que si la chose n’avoit pas été livrée, & que le mari eût gardé le silence jusqu’à sa mort, la femme n’auroit pas la vendication de la chose après la mort de son mari, mais seulement une exception, si elle ne possédoit pas. Cicéron dans ses Topiques nomme cette loi Ælia Sanctia ; mais Charondas en ses notes sur Zazius, fait voir que ces deux lois étoient différentes. (A)

Loi Aemilia étoit une loi somptuaire qui fut faite par M. Aemilius Scaurus, consul. Il en est parlé dans Pline, lib. VIII. const. 57. Son objet fut de réprimer le luxe de ceux qui faisoient venir à grands frais des coquillages & des oiseaux étrangers pour servir sur leur table. Voyez Zazius.

Il ne faut pas confondre cette loi avec le senatusconsulte Aemilien, qui déclaroit valables les donations faites entre mari & femme, lorsque le donateur avoit persévéré jusqu’à la mort. (A)

Lois agraires, leges agrariæ. On a donné ce nom à plusieurs lois différentes qui ont eu pour objet de régler ce qui concerne les champs ou terres appellées en latin agri.

On pourroit mettre au nombre des lois agraires les lois des Juifs & des Egyptiens, qui regardoient la police des champs, & celle que Lycurgue fit pour le partage égal des terres entre tous les citoyens, afin de maintenir entr’eux une égalité qui fût la source de l’union. Mais nous nous bornerons à parler ici des lois qui furent nommées agraires.

La premiere loi appellée agraire fut proposée par Spurius Cassius Viscellinus, lors de son troisieme consulat. Cet homme, qui étoit d’une humeur remuante, voulant plaire aux plébéïens, demanda que les terres conquises fussent partagées entr’eux & les alliés de Rome. Le sénat eut la foiblesse d’accorder cette division aux plébéïens par la célebre loi ou decret agraire ; mais elle attira tant d’ennemis à celui qui en étoit l’auteur, que l’année suivante les questeurs Fabius Coeso & L. Valerius se porterent parties contre Cassius, qu’ils accuserent d’avoir aspiré à la royauté ; il fut cité, comme perturbateur du repos public, & précipité du mont Tarpéïen, l’an de Rome 270, ses biens vendus, sa maison détruite.

Cependant la loi agraire subsistoit toujours, mais le sénat en éludoit l’exécution : les grands possédoient la majeure partie du domaine public & aussi des biens particuliers : le peuple réclamoit l’exécution de la loi agraria, ce qui donna enfin lieu à la loi licinia, qui fut surnommée agraria. Elle fut faite par un riche plébéïen nommé C. Licinius Stolon, lequel ayant été créé tribun du peuple l’an de Rome 377, voulant favoriser le peuple contre les patriciens, proposa une loi tendante à obliger ces derniers de céder au peuple toutes les terres qu’ils auroient au-delà de 500 arpens chacun. Les guerres contre les Gaulois & la création de plusieurs nouveaux magistrats, furent cause que cette affaire traîna pendant neuf années, mais la loi licinia fut enfin reçue malgré les patriciens.

Le premier article de cette loi portoit que l’une des deux places de consuls ne pourroit être remplie que par un plébéïen, & qu’on n’éliroit plus de tribuns militaires.

Les autres articles de cette loi, qui la firent surnommer agraria, parce qu’ils concernoient le partage des terres, ordonnoient qu’aucun citoyen ne pourroit posséder dorénavant plus de 500 arpens de terre, & qu’on distribueroit gratuitement ou qu’on affermeroit à un très-bas prix l’excédent de cette quantité à ceux d’entre les citoyens qui n’auroient pas de quoi vivre, & qu’on leur donneroit au-moins à chacun sept arpens.

Cette loi regloit aussi le nombre des bestiaux & des esclaves que chacun pourroit avoir, pour faire valoir les terres qu’il auroit eu en partage, & l’on nomma trois commissaires pour tenir la main à l’exécution de cette loi.

Mais comme les auteurs des lois ne sont pas toujours ceux qui les observent le mieux, Licinius fut convaincu d’être possesseur de 1000 arpens de terre ; pour éluder la loi, il avoit donné la moitié de ces terres à son fils, qu’il fit pour cet effet émanciper ; mais cette émancipation fut réputée frauduleuse, & Licinius obligé de restituer à la république 500 arpens qui furent distribués à de pauvres citoyens. On le condamna même à payer l’amende de 10 mille sols d’or, qu’il avoit ordonnée : de sorte qu’il porta le premier la peine qu’il avoit établie, & eut encore le chagrin de voir dès la même année abolir cette loi par la cabale des patriciens.

Le mauvais succès de la loi licinia agraria fut cause que pendant long-tems on ne parla plus du partage des terres, jusqu’à ce que C. Quintius Flaminius, tribun du peuple, quelques années avant la seconde guerre punique, proposa au peuple, en dépit du sénat, un projet de loi pour faire partager au peuple les terres des Gaules & du Picentin ; mais la loi ne fut pas faite, Flaminius ayant été détourné de son dessein par son pere.

La loi sempronia agraria mit enfin à exécution l’ancien decret agraire de Cassius, & ordonna que les provinces conquises se tireroient au sort entre le sénat & le peuple ; & en conséquence le sénat envoyoit des proconsuls dans ces provinces pour les gouverner. Le peuple envoyoit dans les siennes des préteurs provinciaux, jusqu’à ce que Tibere ôta aux tribuns le droit de décerner des provinces, & nomma à celles du peuple des recteurs & des préfets.

Le peuple desiroit toujours de voir rétablir la loi licinia, mais il s’écoula plus de 130 années sans aucune occasion favorable. Ce fut Tibérius Gracchus, lequel ayant été élu tribun du peuple vers l’an de Rome 527, entreprit de faire revivre la loi licinia. Pour cet effet il fit déposer Octavius son collegue, lequel s’étoit rangé du parti des grands, au moyen de quoi la loi fut reçue d’une voix unanime, mais les patriciens en conçurent tant de ressentiment, qu’ils le firent périr dans une émotion populaire.

Caïus Gracchus, frere de Tibérius, ne laissa pas de solliciter la charge de tribun, à laquelle il parvint enfin ; il signala son avénement en proposant de recevoir une troisieme fois la loi licinia, & fit si bien qu’elle fut encore reçue, malgré les oppositions des patriciens ; mais il en coûta aussi la vie à Caïus Gracchus, par la faction des grands, qui ne pouvoient souffrir le rétablissement des lois agraires, Pour ôter jusqu’au souvenir des lois des Gracques, on fit périr tous ceux qui avoient été attachés à leur famille.

Après la mort des Gracques on fit une loi agraire, portant que chacun auroit la liberté de vendre les terres qu’il avoit eu en partage, ce qui avoit été défendu par Tibérius Gracchus.

Peu de tems après on en fit encore une autre qui défendit de partager à l’avenir les terres du domaine public, mais que ceux qui les possédoient les conserveroient en payant une redevance annuelle ; & que l’argent qui en proviendroit seroit distribué au