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leur assurer une pleine jouissance de leur droit à cet égard.

Les hommes, dit M. de Montesquieu, sont gouvernés par diverses sortes de lois. Ils sont gouvernés par le droit naturel, par le droit divin, qui est celui de la religion ; par le droit ecclésiastique, autrement appellé canonique, qui est celui de la police de la religion ; par le droit des gens, qu’on peut considérer comme le droit civil de l’univers, dans le sens que chaque peuple en est un citoyen ; par le droit politique général, qui a pour objet cette sagesse humaine, qui a fondé toutes les sociétés ; par le droit politique particulier, qui concerne chaque société ; par le droit de conquête, fondé sur ce qu’un peuple a voulu, a pu ou dû faire violence à un autre ; par le droit civil de chaque société, par lequel un citoyen peut défendre ses biens & sa vie contre tout autre citoyen ; enfin, par le droit domestique, qui vient de ce qu’une société est divisée en diverses familles qui ont besoin d’un gouvernement particulier. Il y a donc différens ordres de lois, & la sublimité de la raison humaine consiste à savoir bien auquel de ces ordres se rapportent principalement les choses sur lesquelles on doit statuer, & à ne point mettre de confusion dans les principes qui doivent gouverner les hommes.

Les réflexions naissent en foule à ce sujet. Détachons-en quelques-unes des écrits profonds de ces beaux génies qui ont éclairé le monde par leurs travaux sur cette importante matiere.

La force d’obliger qu’ont les lois inférieures, découle de celle des lois supérieures. Ainsi dans les familles on ne peut rien prescrire de contraire aux lois de l’état dont elles font partie. Dans chaque état civil on ne peut rien ordonner de contraire aux lois qui obligent tous les peuples, telles que sont celles qui prescrivent de ne point prendre le bien d’autrui, de réparer le dommage qu’on a fait, de tenir sa parole, &c. & ces lois communes à toutes les nations, ne doivent renfermer rien de contraire au domaine suprème de Dieu sur ses créatures. Ainsi dès qu’il y a dans les lois inférieures des choses contraires aux lois supérieures, elles n’ont plus force de lois.

Il faut un code de lois plus étendu pour un peuple qui s’attache au commerce, que pour un peuple qui se contente de cultiver ses terres. Il en faut un plus grand pour celui-ci, que pour un peuple qui vit de ses troupeaux. Il en faut un plus grand pour ce dernier, que pour un peuple qui vit de sa chasse. Ainsi les lois doivent avoir un grand rapport avec la façon dont les divers peuples se procurent leur subsistance.

Dans les gouvernemens despotiques, le despote est le prince, l’état & les lois. Dans les gouvernemens monarchiques il y a une loi ; & là où elle est précise, le juge la suit ; là où elle ne l’est pas, il en cherche l’esprit. Dans les gouvernemens républicains, il est de la nature de leur constitution que les juges suivent la lettre de la loi ; il n’y a point de citoyen contre qui on puisse interpréter une loi, quand il s’agit de ses biens, de son honneur ou de sa vie. En Angleterre les jurés décident du fait, le juge prononce la peine que la loi infflige ; & pour cela il ne lui faut que des yeux.

Ceux qui ont dans leurs mains les lois pour gouverner les peuples, doivent toujours se laisser gouverner eux-mêmes par les lois. C’est la loi, & non pas l’homme qui doit régner. La loi, dit Plutarque, est la reine de tous les mortels & immortels. Le seul édit de 1499, donné par Louis XII. fait chérir sa mémoire de tous ceux qui rendent la justice dans ce royaume, & de tous ceux qui l’aiment. Il ordonne par cet édit mémorable « qu’on suive toujours

la loi, malgré les ordres contraires à la loi, que l’importunité pourroit arracher du monarque ».

Le motif & l’effet des lois doit être la prospérité des citoyens. Elle résulte de l’intégrité des mœurs, du maintien de la police, de l’uniformité dans la distribution de la justice, de la force & de l’opulence de l’état, & les lois sont les nerfs d’une bonne administration. Quelqu’un ayant demandé à Anaxidame, roi de Lacédémone, qui avoit l’autorité dans Sparte, il répondit que c’étoient les lois ; il pouvoit ajouter avec les mœurs sur lesquels elles influent, & dont elles tirent leur force. En effet, chez les Spartiates, les lois & les mœurs intimement unies dans le cœur des citoyens n’y faisoient, pour ainsi dire, qu’un même corps. Mais ne nous ne flattons pas de voir Sparte renaître au sein du commerce & de l’amour du gain.

« La grande différence que Lycurgue a mise entre Lacédémone & les autres cités, dit Xénophon, consiste en ce qu’il a sur-tout fait, que les citoyens obéissent aux lois. Ils courent lorsque le magistrat les appelle : mais à Athènes, un homme riche seroit au desespoir que l’on pensât qu’il dépendît du magistrat ».

Il y a plus ; la premiere fonction des éphores de Lacédémone, en entrant en charge, étoit une proclamation publique, par laquelle ils enjoignoient aux citoyens, non pas d’observer les lois, mais de les aimer, afin que l’observation ne leur en fût point dure.

Rien ne doit être si cher aux hommes que les lois destinées à les rendre bons, sages & heureux. Les lois seront précieuses au peuple, tant qu’il les regardera comme un rempart contre le despotisme, & comme la sauvegarde d’une juste liberté.

Parmi les lois, il y en a d’excellentes, de vicieuses & d’inutiles. Toute bonne loi doit être juste, facile à exécuter, particulierement propre au gouvernement, & au peuple qui la reçoit.

Toute loi équivoque est injuste, parce qu’elle frappe sans avertir. Toute loi qui n’est pas claire, nette, précise, est vicieuse.

Les lois doivent commencer directement par les termes de jussion. Les préambules qu’on y met ordinairement sont constamment superflus, quoiqu’ils ayent été inventés pour la justification du législateur, & pour la satisfaction du peuple. Si la loi est mauvaise, contraire au bien public, le législateur doit bien se garder de la donner ; si elle est nécessaire, essentielle, indispensable, il n’a pas besoin d’en faire l’apologie.

Les lois peuvent changer, mais leur style doit toujours être le même, c’est à-dire simple, précis, ressentant toujours l’antiquité de leur origine comme un texte sacré & inaltérable.

Que les lois respirent toujours la candeur : faites pour prévenir ou pour punir la méchanceté des hommes, elles doivent avoir la plus grande innocence.

Des lois qui choqueroient les principes de la nature, de la morale ou de la religion, inspireroient de l’horreur. Dans la proscription du prince d’Orange, par Philippe II. ce prince promet à celui qui le tuera, ou à ses héritiers, vingt mille écus & la noblesse, & cela en parole de roi, & comme serviteur de Dieu. La noblesse promise pour une telle action ! une telle action ordonnée comme serviteur de Dieu ! tout cela renverse également les idées de l’honneur, de la morale & de la religion.

Lorsqu’on fait tant que de rendre raison d’une loi, il faut que cette raison soit 1°. digne d’elle. Une loi romaine décide qu’un aveugle ne peut plaider, parce qu’il ne voit pas les ornemens de la magistrature. Il est pitoyable de donner une si mauvaise raison,