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& qui porteroit dans ses armes un lion, leo, & un pié de l’aspic, plante, qui en anglois s’appelle nar, feroit du logogriphe, selon cet auteur. Voyez Œdip. egypt.

Le même auteur définit ailleurs le logogriphe une éuigme qui sous un seul nom ou mot porte à l’esprit différentes idées, par l’addition ou le retranchement de quelques parties : ce genre d’énigmes est très connu des Arabes, parmi lesquels il y a des auteurs qui en ont traité expressément.

LOGOMACHIE, s. f. (Littér.) est un mot qui vient du grec ; il signifie dispute de mots ; il est composé de λόγος verbum, & de μάχομαι, pugno ; je ne sais pourquoi ce mot ne se trouve ni dans Furetiere, ni dans Richelet. Ce mot se prend toujours dans un sens défavorable ; il est rare qu’il ne soit pas appliquable à l’un & l’autre parti ; pour l’ordinaire tel qui le donne le premier, est celui qui le mérite le mieux.

On ne peut qu’admirer l’esprit philosophique de S. Paul, cet illustre éleve de Gamaliel, qui déclamant contre toutes les frivoles questions qu’on agitoit de son tems dans les écoles d’un peuple grossier, & qui ne connut jamais les premieres notions d’une saine philosophie, parle des logomachies comme d’une maladie funeste, ep. Timoth. 6. v. 4, νοσῶν περὶ λογομαχίας, maladie qui est devenue en quelque sorte épidémique, & qu’on peut envisager comme un apanage de l’humanité, puisque toute la sagesse de l’Orient, une philosophie fondée sur l’expérience, la revélation divine même n’ont pu en tarir le cours. Mais pourquoi, dira-t-on, ce mal fâcheux attaque-t il sur tout les gens de lettres, pourquoi de vaines disputes sur les choses les plus viles & les plus ridicules occupent-elles la majeure partie des ouvrages des savans ; c’est qu’il est peu de vrais savans, & beaucoup de gens qui veulent passer pour l’être.

Le mot de logomachies peut se prendre en trois divers sens. 1°. Une dispute en paroles ou injures ; 2°. une dispute de mots, & dans laquelle les disputans ne s’entendent pas ; 3°. une dispute sur des choses minimes & de nulle importance : Homere parle du premier sens lorsqu’il dit :

Ὣς τώ γ’ ἀντιϐίοισι μαχεσσαμένω ἐπέεσσιν Ἀνστήτην
Illiade A.


logomachie, que toute la politesse du siecle, des mœurs douces, n’ont encore pu bannir de la littérature, toujours malheureusement en proie à des frelons, à des ames basses, qu’une lache envie porte à injurier le petit nombre de ceux dont le vrai mérite les offusque, & dont la supériorité les humilie.

On trouve des exemples de la seconde espece de logomachie, c’est-à-dire, des pures disputes de mots, dans tous les siecles, & dans tous les divers genres de Sciences. Les écrits des anciens philosophes partagés sur le souverain bien en fourmillent ; les Jurisconsultes de tous les pays se disputant sur les premiers principes du Droit, & venant tous par des routes différentes, au bonheur de la société, seul & vrai fondement des obligations réciproques de ceux qui la composent, tous ces divers jurisconsultes qui s’échauffent parce qu’ils ne s’entendent pas, ont extrémement multiplié les éternelles logomachies littéraires.

Mais il en est une source inépuisable dans la fureur de vouloir expliquer ce qui de sa nature est inexpliquable, je veux dire les mysteres que la Religion propose à notre foi ; combien de volumes pour & contre, immenses receuils de logomachies, n’a pas produit le zele indiscret de ceux qui ont voulu démontrer ce qu’on devoit se contenter de croire ? comment en effet ne pas bégayer sur des choses que ceux-même qui sont inspirés ne voient que confusément,

& comme à-travers un miroir ? Attendons prudemment à en parler, que suivant les flateuses espérances que nous donne l’esprit divin, nous ayons le privilege de les voir clairement & face à face.

Mais il faut, nous dit l’esprit de Dieu, qu’il y ait des disputes ; sachons donc respecter une nécessité ordonnée par la sagesse souveraine, si même nous ne comprenons pas son but ; mais plus prudens que les faux devots, soyons juges plutôt qu’acteurs dans ces disputes, nous entendrons beaucoup de logomachies, & l’on ne pourra pas nous en reprocher.

Nous avons un exemple frappant de ces pieuses logomachies, dans la fameuse dispute de l’église grecque avec la latine. La premiere prétendoit qu’il y avoit en Dieu τρεῖς ὑποστάσεις, & la latine n’en admettoit qu’une. Après la dispute la plus vive, un synode convoqué pour décider cette importante question, des évêques venus d’Italie, d’Egypte, de l’Arabie, de l’Asie mineure & de la Lybie, l’affaire débattue devant eux avec beaucoup de chaleur, on trouva que toute cette controverse agitée de part & d’autre avec tant de vivacité, étoit une pure logomachie.

On ne voit que logomachie de ce genre dans les écrits des Logiciens, des Métaphysiciens, & surtout des Critiques & des Commentateurs. Le troisieme sens qu’on peut donner au mot de logomachie, est des choses futiles & d’une petite importance, suivant en cela la force du mot grec λόγος, qui ne signifie pas seulement des paroles, mais aussi des bagatelles, des choses viles & minimes ; ce qui revient aux expressions latines, verba sunt verba dare, &c. les logomachies dans ce dernier sens seront donc ce que Flaccus appelle

Rixas de lanâ caprinâ ;


disputes qui sont sans nombre dans tous les siecles, & dont on peut dire qu’il n’est aucune science qui en soit exempte, & aucun savant qui du plus au moins n’ait à cet égard des reproches à se faire.

O tempora, ô mores !

Qui pourroit en effet s’empêcher de rire, lorsqu’on voit des critiques qui ont la réputation de savans, disputer avec chaleur, pour savoir si le poisson qui engloutit le prophête Jonas étoit mâle ou femelle ; quel des deux piés Enée mit le premier sur le territoire latin ; quelle étoit la véritable forme des agraffes que portoient les anciens romains, & une multitude d’autres questions toutes aussi importantes.

Les anciens philosophes n’ont point été exempts de cette maladie ; Lucianus les caractérise par un mot qui n’a point vieilli : il dit,

πάντες περὶ ὄνου σχιᾶς μάχονται οἱ φιλοσοφοῦντες ;


mais s’il avoit lu les ouvrages de nos philosophes scholastiques, & qu’il eût bâillé à la lecture des logomachies dont ils sont remplis, il auroit trouvé chez ces messieurs quelque chose de plus réel que l’ombre d’un âne.

Toute la gravité des Théologiens ne les a point empêché de donner dans ces logomachiques inepties. S. Paul censure ce qu’il appelle βεϐούλους χορωφωνίους μωρὰς καὶ ἀπαιδεύτους ζητήσεις ; l’église grecque & la latine n’ont elles pas gravement agité ces questions sérieuses ? convient-il aux ecclésiastiques de nourrir leurs barbes ; les évêques peuvent ils porter des anneaux ; & ces fameuses questions dignes de la sagacité des casuistes auxquels elles étoient gravement proposées : an si quis baptizaret in nomine patrua, filia & spiritua sanctus, baptismus esset legitimus ? an asinus possit bibere baptismum ?

Qui ne craindroit une maladie que saint Jerôme & saint Augustin n’ont point évitée, & s’ils ont été