Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 9.djvu/635

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les militaires curieux seront bien aises d’en trouver ici la disposition ; les connoissances que j’en puis donner, sont le fruit de la lecture de Polybe, & du livre intitulé, le parfait capitaine. On doit ce petit & savant ouvrage à M. le duc de Rohan, colonel général des Suisses & Grisons, mort dans le canton de Berne en 1638, des blessures qu’il reçut à Rhinfeld, & enterré à Genève dans une chapelle du temple de S. Pierre. Il fut pendant tout le cours de sa vie le chef des Protestans en France, & leur rendit de grands services, soit par ses négociations, soit à la tête des armées. La maison de Rohan étoit autrefois zélée calviniste ; elle donne à présent des cardinaux au royaume : je viens à mon sujet, dont je ne m’écarterai plus.

On sait que les Romains furent long-tems à ne pas mieux posséder l’arrangement d’un camp, que le reste de la science militaire. Ils n’observerent à cet égard de regle & de méthode, que depuis qu’ils eurent vû le camp de Pyrrhus. Alors ils en connurent si bien l’avantage, que non-seulement ils en suivirent le modele, mais ils le porterent encore à un plus haut point de perfection ; & voici comme ils s’y prirent.

D’abord que l’armée marchant sur trois lignes arrivoit à l’endroit où l’on avoit tracé le camp, deux des lignes restoient rangées en bataille, pendant que la troisieme s’occupoit à faire les retranchemens. Ces retranchemens consistoient en un fossé de cinq piés de large, & de trois de profondeur, dont on rejettoit la terre du côté du camp, pour en former une espece de rempart, qu’on accommodoit avec des gasons & des palissades, lorsqu’il s’agissoit de n’y rester qu’une ou deux nuits.

Si l’on vouloit séjourner plus long-tems, on faisoit un fossé d’onze à douze piés de large, & profond à proportion, derriere lequel on élevoit un rempart fait de terre avec des fascines, revêtu de gasons. Ce rempart étoit flanqué de tours d’espace en espace, distantes de quatre vingt piés, & accompagnées de parapets garnis de créneaux, de même que les murailles d’une ville. Les soldats accoutumés à ce travail, l’exécutoient sans quitter leurs armes. Nous apprenons de Tacite, liv. XXXI, que l’ordonnance étoit si sévere à ce sujet, que le général Corbulon, qui commandoit sur le Rhin, sous le regne de l’empereur Claudius, condamna à mort deux soldats, pour avoir travaillé aux retranchemens du camp, l’un sans épée, & l’autre n’ayant qu’un poignard.

On plaçoit le logement du consul, du préteur, ou du général, au lieu le plus favorable pour voir tout le camp, & au milieu d’une place quarrée ; les tentes destinées aux soldats de sa garde, étoient tendues aux quatre coins de cette place : on l’appelloit le prétoire, & c’étoit-là qu’il rendoit la justice. Attenant le logement du général, se trouvoit celui de ceux que le sénat envoyoit pour lui servir de conseil ; usage observé souvent du tems de la république ; c’étoient ordinairement des sénateurs, sur l’expérience desquels on pouvoit compter : on posoit pour les honorer deux sentinelles devant leurs tentes. Les logemens des lieutenans du consul étoient vraissemblablement dans le même endroit ; sur le même allignement, & à la proximité du général, étoit le questoire avec le logement du questeur, qui outre la caisse dont il étoit dépositaire, avoit la charge des armes, des machines de guerre, des vivres, & des habillemens. Son logement étoit gardé par des sentinelles, ainsi que les places des armes, des machines, des vivres, & des habits.

On élevoit toûjours dans la principale place du camp une espece de tribunal de terre ou de gason, où le général montoit, lorsqu’avant quelque expé-

dition considérable, il lui convenoit d’en informer

l’armée, de l’y préparer, & de l’encourager par un discours public. C’est une particularité que nous tenons de Plutarque, dans ses vies de Sylla, de César, & de Pompée.

Tous les quartiers du camp étoient partagés en rues tirées au cordeau, en pavillons des tribuns, des préfets, & en logemens pour les quatre corps de troupes qui composoient une légion, je veux dire les Vélites, Hastaires, Princes, & Triaires. Voyez ces mots.

Mais les logemens de ces quatre corps étoient compris sous le nom des trois derniers corps, parce qu’on divisoit & qu’on incorporoit les vélites dans les trois autres corps ; & cela se pratiquoit de la maniere suivante.

Hastaires 1200 hommes
Vélites joints aux hastaires 480

1680
Princes 1200
Vélites jointes aux princes 480

1680
Triaires 600
Vélites joints aux triaires 240

840

Il s’agit maintenant d’entrer dans le détail des logemens du camp, de la distribution du terrein, & de la quantité qu’on en donnoit à chacun.

Les Romains donnoient dix piés de terre en quarré pour loger deux soldats ; ainsi dix cohortes de hastaires, qui ne faisoient que mille six cens quatre-vingt soldats, les vélites compris dans ce nombre, étoient logés au large, & il leur restoit encore de la place pour leur bagage.

Le même espace de terrein se donnoit aux princes, parce qu’ils étoient en pareil nombre ; moitié moins de terrein se distribuoit aux triaires, parce qu’ils étoient la moitié moins en nombre.

A la cavalerie on donnoit pour trente chevaux cent piés de terre en quarré, & pour les cent turmes, cent piés de large, & mille piés de long.

On donnoit à l’infanterie des alliés, pareil espace qu’aux légions romaines ; mais parce que le consul prenoit la cinquieme partie des légions des alliés, on retranchoit aussi dans l’endroit du camp qui leur étoit assigné, la cinquieme partie du terrein qu’on leur fournissoit ailleurs.

Quant à la cavalerie des alliés, elle étoit toûjours double de celle des Romains ; mais comme le général en prenoit le tiers pour loger autour de lui, il n’en restoit dans les logemens ordinaires qu’un quart de plus que celle des Romains ; & parce que l’espace de terrein étoit plus que suffisant, on ne l’augmentoit point. Cet espace de terrein contenoit, comme je l’ai dit, cent piés de large, & mille piés de long pour cent turmes.

Ces logemens de toutes les troupes étoient séparées par cinq rues, de cinquante piés de large chacune, & coupées par la moitié par une rue nommée Quintaine, de même longueur que les autres.

Polybe ne dit rien des portes du camp, de leur nom, & de leur position. Il y avoit quatre portes, parce que le camp faisoit un quarré ; la porte du prétoire, la porte décumene, la porte quintaine, & la porte principale.

A la tête des logemens du camp, il y avoit une rue de cent piés de large ; après cette rue, étoient les logemens des douze tribuns vis-à-vis des deux légions romaines, & les logemens des douze préfets, vis-à-vis deux légions alliées : on donnoit à chacun de ces logemens cinquante piés en quarré.

Ensuite venoit le logement du consul, nommé le