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Modele d’un livre de soubord. Livre de soubord des marchandises chargées à la Rochelle le 6 Mars 1724, dans la frégate l’hirondelle, capitaine le sieur Coral, pour, Dieu aidant, les mener & délivrer aux lieux & personnes de leur destination.

Les livres de soubord ne sont proprement regardés que comme des écritures particulieres, & ne peuvent avoir la même autorité que les connoissemens, chartes-parties, factures, & autres semblables écritures pour justifier du chargement d’un vaisseau, ainsi qu’il a été jugé par un arrêt du conseil d’état du roi du 21 Février 1693. Dictionnaire de Commerce, tome III. p. 167 & suiv.

Livre numéraire, (Monn. Comm.) monnoie fictive de compte reçue chez plusieurs peuples de l’Europe, pour la facilité du calcul & du Commerce.

Les Juifs & les Grecs ont eu, comme nos nations modernes, des monnoies imaginaires, lesquelles ne sont, à proprement parler, que des noms collectifs qui comprennent sous eux un certain nombre de monnoies réelles : c’est ainsi qu’ils se sont servis de la mine & du talent. Les Romains ont inventé le sesterce, & les François se servent de la livre, en quoi ils ont été imités par les Anglois & les Hollandois. Notre livre de compte est composée de vingt sols, qui se divisent chacun par douze deniers, mais nous n’avons point d’espece qui soit précisément de cette valeur.

Je n’ignore pas qu’il y a eu des monnoies d’or & d’argent réelles, qui ont valu justement une livre ou vingt sols, comme les francs d’or des rois Jean I. & de Charles V. ainsi que les francs d’argent de Henri III. mais ce n’a été que par hasard que ces monnoies ont été de la valeur d’une livre : car dans la suite leur prix est augmenté considérablement, ce qui n’arrive point à la livre numéraire ou fictive : elle ne change jamais de valeur. Depuis le tems de Charlemagne, c’est-à-dire depuis 780 ou environ que nous nous en servons, elle a toujours valu vingt sols & le sol douze deniers ; le prix au contraire de toutes les autres monnoies réelles ne change que trop souvent.

Il est donc vrai de dire que la livre de compte est une monnoie imaginaire, puisque nous n’avons jamais eu d’espece qui ait toujours valu constamment vingt sols ni douze deniers. Cependant si nous remontons au tems où l’on a commencé en France à compter par livres, nous trouverons que cette monnoie imaginaire doit son origine à une chose réelle.

Il faut savoir à ce sujet que pendant la premiere & la seconde race de nos rois, on ne se servoit point pour peser l’or & l’argent du poids de marc composé de huit onces, mais de la livre romaine qui en pesoit douze. Pepin ordonna qu’on tailleroit vingt-deux sols dans cette livre de poids d’argent : ce métal étant devenu plus abondant en France par les conquêtes de Charlemagne, ce prince fit faire des sols d’argent

plus pesans, & on n’en tailla plus que vingt dans une livre d’argent, c’est-à-dire qu’alors vingt sols pesoient une livre de douze onces, & ce sol se divisoit comme le nôtre en douze deniers.

Depuis Charlemagne jusqu’à Philippe I. les sols ont été d’argent, & les vingt pesoient presque toujours une livre de douze onces ou approchant : desorte qu’alors le sol d’argent pesoit 345 grains. Ainsi pendant environ deux siecles, les monnoies de France resterent sur le pié où Charlemagne les avoit mises ; petit à petit nos rois dans leurs besoins tantôt changerent les sols d’alliage, & tantôt en diminuerent le poids : néanmoins on ne laissa pas de se servir toujours du terme de livre pour exprimer une somme de vingt sols, quoiqu’ils ne pesassent plus à beaucoup près une livre d’argent, ou qu’ils fussent chargés d’alliage. En un mot, par un changement qui est presque la honte des gouvernemens de l’Europe, ce sol qui étoit autrefois ce qu’est à-peu-près un écu d’argent, n’est plus en France qu’une legere piece de cuivre, avec un douzieme d’argent ; & la livre, qui est le signe représentatif de douze onces d’argent, n’est plus que le signe représentatif de vingt de nos sols de cuivre. Le denier qui étoit la cent vingt-quatrieme partie d’une livre d’argent, n’est plus que le tiers de cette vile monnoie qu’on appelle un liard. Le marc d’argent, qui sous Philippe Auguste valoit cinquante sols, vaut aujourd’hui près de cinquante livres. La même chose est arrivée au prix du marc d’or.

Si donc une ville de France devoit à une autre 120 livres de rente, c’est-à-dire 1440 onces d’argent du tems de Charlemagne, elle s’acquitteroit présentement de sa dette (supposé que cette maniere de s’acquitter ne fît pas un procès) en payant ce que nous appellons un gros écu ou un écu de six livres, qui pese une once d’argent.

La livre numéraire des Anglois & des Hollandois, a moins varié. Une livre sterling d’Angleterre vaut 22 livres de France ; & une livre de gros chez les Hollandois vaut environ 12 livres de France. Ainsi les Hollandois se sont moins écartés que les François de la loi primitive, & les Anglois encore moins.

M. de Voltaire a bien raison d’observer que toutes les fois que l’Histoire nous parle de monnoie sous le nom de livres, nous devons examiner ce que valoit la livre au tems & dans le pays dont on parle, & la comparer à la valeur de la nôtre.

Nous devons avoir la même attention en lisant l’histoire grecque & romaine, & ne pas copier nos auteurs qui, pour exprimer en monnoie de France les talens, les mines, les sesterces, se servent toujours de l’évaluation que quelques savans ont faite avant la mort de M. Colbert. « Mais le marc de huit