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du roi d’Espagne & du pape à la tête : Henri III. au lieu d’opposer la force à cette insulte, fit son apologie ; & les ligueurs s’emparerent de quelques villes du royaume, entr’autres, de Tours & de Verdun.

C’est cette même année 1585, que se fit l’établissement des seize, espece de ligue particuliere pour Paris seulement, composée de gens vendus au duc de Guise, & ennemis jurés de la royauté. Leur audace alla si loin, que le lieutenant du prevôt de l’île de France révéla au roi l’entreprise qu’ils avoient formée de lui ôter la couronne & la liberté. Henri III. se contenta de menaces, qui porterent les seize à presser le duc de Guise de revenir à Paris. Le roi écrivit deux lettres au duc, pour lui défendre d’y venir.

M. de Voltaire rapporte à ce sujet une anecdote fort curieuse ; il nous apprend qu’Henri III. ordonna qu’on dépêchât ses deux lettres par deux couriers, & que, comme on ne trouva point d’argent dans l’épargne pour cette dépense nécessaire, on mit les lettres à la poste ; de sorte que le duc de Guise se rendit à Paris, ayant pour excuse, qu’il n’avoit point reçû d’ordre contraire.

De-là suivit la journée des barricades, trop connue pour en faire le récit ; c’est assez de dire que le duc de Guise, se piquant de générosité, rendit les armes aux gardes du roi qui suivant le conseil de sa mere, ou plutôt de sa frayeur, se sauva en grand desordre & à toute bride à Chartres. Le duc, maître de la capitale, négocia avec Catherine de Médicis un traité de paix qui fut tout à l’avantage de la ligue, & à la honte de la royauté.

A peine le roi l’eut conclu, qu’il s’apperçut, quand il n’en fut plus tems, de l’abîme que la reine mere lui avoit creusé, & de l’autorité souveraine des Guises, dont l’audace portée au comble, demandoit quelque coup d’éclat. Ayant donc médité son plan, dans un accès de bile noire à laquelle il étoit sujet en hiver, il convoqua les états de Blois, & là, il fit assassiner le 23 & le 24 Décembre le duc de Guise, & le cardinal son frere.

Les lois, dit très-bien le poëte immortel de l’histoire de la ligue, les lois sont une chose si respectable & si sainte, que si Henri III. en avoit seulement conservé l’apparence, & qu’ayant dans ses mains le duc & le cardinal, il eût mis quelque formalité de justice dans leur mort ; sa gloire, & peut-être sa vie eussent été sauvées ; mais l’assassinat d’un héros & d’un prêtre le rendirent exécrable aux yeux de tous les catholiques, sans le rendre plus redoutable.

Il commit une seconde faute, en ne courant pas dans l’instant à Paris avec ses troupes. Les ligueurs, ameutés par son absence, & irrités de la mort du duc & du cardinal de Guise, continuerent leurs excès. La Sorbonne s’enhardit à donner un decret qui délioit les sujets du serment de fidélité qu’ils doivent au roi, & le pape l’excommunia. A tous ces attentats, ce prince n’opposa que de la cire & du parchemin.

Cependant le duc de Mayenne en particulier se voyoit chargé à regret de vanger la mort de son frere qu’il n’aimoit pas, & qu’il avoit autrefois appellé en duel. Il sentoit d’ailleurs que tôt ou tard le parti des Ligueurs seroit accablé ; mais sa position & son honneur emporterent la balance. Il vint à Paris, & s’y fit déclarer lieutenant général de la couronne de France, par le conseil de l’union : ce conseil de l’union se trouvoit alors composé de 70 personnes.

L’exemple de la capitale entraîna le reste du royaume ; Henri III. réduit à l’extrémité, prit le parti, par l’avis de M. de Schomberg, d’appeller à son aide le roi de Navarre qu’il avoit tant persécuté ; celui-ci,

dont l’ame étoit si belle & si grande, vole à son

secours, l’embrasse, & décide qu’il falloit se rendre à force ouverte dans la capitale.

Déja les deux rois s’avançoient vers Paris, avec leurs armées réunies, fortes de plus de trente mille hommes ; déja le siége de cette ville étoit ordonné, & sa prise immanquable, quand Henri III. fut assassiné, le premier Août 1589, par le frere Jacques Clement, dominiquain : ce prêtre fanatique fut encouragé à ce parricide par son prieur Bourgoin, & par l’esprit de la ligue.

Quelques Historiens ajoutent, que Madame de Montpensier eut grande part à cette horrible action, moins peut-être par vengeance du sang de son frere, que par un ancien ressentiment que cette dame conservoit dans le cœur, de certains discours libres tenus autrefois par le roi sur son compte, & qui découvroient quelques défauts secrets qu’elle avoit : outrage, dit Mézerai, bien plus impardonnable à l’égard des femmes, que celui qu’on fait à leur honneur.

Personne n’ignore qu’on mit sur les autels de Paris le portrait du parricide ; qu’on tira le canon à Rome, à la nouvelle du succès de son crime ; enfin, qu’on prononça dans cette capitale du monde-catholique l’éloge du moine assassin.

Henri IV (car il faut maintenant l’appeller ainsi avec M. de Voltaire, puisque ce nom si célebre & si cher est devenu un nom propre) Henri IV. dis-je, changea la face de la ligue. Tout le monde sait comment ce prince, le pere & le vainqueur de son peuple, vint à bout de la détruire. Je me contenterai seulement de remarquer, que le cardinal de Bourbon, dit Charles X. oncle d’Henri IV. mourut dans sa prison le 9 Mai 1590 ; que le cardinal Cajetan légat à latere, & Mendoze ambassadeur d’Espagne, s’accorderent pour faire tomber la couronne à l’infante d’Espagne, tandis que le duc de Lorraine la vouloit pour lui-même, & que le duc de Mayenne ne songeoit qu’à prolonger son autorité. Sixte V. mourut dégouté de la ligue. Grégoire XIV. publia sans succès, des lettres monitoriales contre Henri IV. en vain le jeune cardinal de Bourbon neveu du dernier mort, tenta de former quelque faction en sa faveur ; en vain le duc de Parme voulut soutenir celle d’Espagne, les armes à la main ; Henri IV. fut partout victorieux ; par-tout il battit les troupes des ligueurs, à Arques, à Ivry, à Fontaine françoise, comme à Coutras. Enfin, reconnu roi, il soumit par ses bienfaits, le royaume à son obéissance : son abjuration porta le dernier coup à cette ligue monstrueuse, qui fait l’événement le plus étrange de toute l’histoire de France.

Aucuns regnes n’ont fourni tant d’anecdotes, tant de piéces fugitives, tant de mémoires, tant de livres, tant de chansons satyriques, tant d’estampes, en un mot, tant de choses singulieres, que les regnes d’Henri III. & d’Henri IV. Et, en admirant le regne de ce dernier monarque, nous ne sommes pas moins avides d’être instruits des faits arrivés sous son prédécesseur, que si nous avions à vivre dans des tems si malheureux. (D. J.)

Ligue, (Géog.) nom commun aux trois parties qui composent le pays des Grisons ; l’une se nomme la ligue grise ou haute, l’autre la ligue de la Caddée, & la troisieme la ligue des dix jurisdictions, ou des dix droitures. Voyez Grisons.

La ligue grise, ou la ligue haute, en allemand, graw-bunds, en latin, fœdus superius, ou fœdus canum, est la plus considérable des trois, & a communiqué son nom à tout le pays. C’est ici que se trouvent les trois sources du Rhin. Cette ligue est partagée en huit grandes communautés, qui contiennent vingt-deux jurisdictions. Les habitans de la ligue