Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 9.djvu/528

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tous ces faits que j’ai recueillis par la lecture de plus de trente historiens.

Depuis le massacre de la saint Barthélemi ; le royaume étoit tombé dans une affreuse confusion, à laquelle Henri III. mit le comble à son retour de Pologne. La nation fut accablée d’édits bursaux, les campagnes désolées par la soldatesque, les villes par la rapacité des financiers, l’Eglise par la simonie & le scandale.

Cet excès d’opprobre enhardit le duc Henri de Guise à former la ligue projettée par son oncle le cardinal de Lorraine, & à s’élever sur les ruines d’un état si mal-gouverné. Il étoit devenu le chef de la maison de Lorraine en France, ayant le crédit en main, & vivant dans un tems où tout respiroit les factions ; Henri de Guise étoit fait pour elle. Il avoit, dit-on, toutes les qualités de son pere avec une ambition plus adroite, plus artificieuse & plus effrénée, telle enfin qu’après avoir causé mille maux au royaume, il tomba dans le précipice.

On lui donne la plus belle figure du monde, une éloquence insinuante, qui dans le particulier triomphoit de tous les cœurs ; une libéralité qui alloit jusqu’à la profusion, un train magnifique, une politesse infinie, & un air de dignité dans toutes ses actions ; fin & prudent dans les conseils, prompt dans l’exécution, secret ou plutôt dissimulé sous l’apparence de la franchise ; du reste accoutumé à souffrir également le froid & le chaud, la faim & la soif, dormant peu, travaillant sans cesse, & si habile à manier les affaires, que les plus importantes ne sembloient être pour lui qu’un badinage. La France, dit Balzac, étoit folle de cet homme-là ; car c’est trop peu de dire amoureuse ; une telle passion alloit bien près de l’idolâtrie. Un courtisan de ce regne prétendoit que les huguenots étoient de la ligue quand ils regardoient le duc de Guise. C’est de son pere & de lui que la maréchale de Retz disoit, qu’auprès d’eux tous les autres princes paroissoient peuple.

On vantoit aussi la générosité de son cœur ; mais il n’en donna pas un exemple, quand il investit lui-même la maison de l’amiral Coligny, &, qu’attendant dans la cour l’exécution de l’assassinat de ce grand homme, qu’il fit commettre par son valet (Breme), il cria qu’on jettât le cadavre par les fenêtres, pour s’en assurer & le voir à ses piés : tel étoit le duc de Guise, à qui la soif de régner applanit tous les chemins du crime.

Il commença par proposer la ligue dans Paris, fit courir chez les bourgeois, qu’il avoit déja gagnés par ses largesses, des papiers qui contenoient un projet d’association, pour défendre la religion, le roi & la liberté de l’état, c’est-à-dire pour opprimer à la fois la fois le roi & l’état, par les armes de la religion ; la ligue fut ensuite signée solemnellement à Péronne, & dans presque toute la Picardie, par les menées & le credit de d’Humieres gouverneur de la province. Il ne fut pas difficile d’engager la Champagne & la Bourgogne dans cette association, les Guises y étoient absolus. La Tremouille y porta le Poitou, & bientôt après toutes les autres provinces y entrerent.

Le roi craignant que les états ne nommassent le duc de Guise à la tête du parti qui vouloit lui ravir la liberté, crut faire un coup d’état, en signant lui-même la ligue, de peur qu’elle ne l’écrasât. Il devint, de roi, chef de cabale, & de pere commun, ennemi de ses propres sujets. Il ignoroit que les princes doivent veiller sur les ligues, & n’y jamais entrer. Les rois sont la planéte centrale qui entraîne tous les globes dans son tourbillon : ceux-ci ont un mouvement particulier, mais toujours lent & subordonné à la marche uniforme & rapide du premier mobile. En vain, dans la suite, Henri III.

voulut arrêter les progrès de cette ligue : il ne sut pas y travailler ni l’éteindre ; elle éclata contre lui, & fut cause de sa perte.

Comme le premier dessein de la ligue étoit la ruine des calvinistes, on ne manqua pas d’en communiquer avec dom Juan d’Autriche, qui, allant prendre possession des Pays-Bas, se rendit déguisé à Paris, pour en concerter avec le duc de Guise : on se conduisit de même avec le légat du pape. En conséquence la guerre se renouvela contre les protestans ; mais le roi s’étant embarqué trop légérement dans ces nouvelles hostilités, fit bien-tôt la paix, & créa l’ordre du S. Esprit, comptant, par le serment auquel s’engageoient les nouveaux chevaliers, d’avoir un moyen sûr pour s’opposer aux desseins de la ligue. Cependant dans le même tems, il se rendit odieux & méprisable, par son genre de vie efféminée, par ses confrairies, par ses pénitences, & par ses profusions pour ses favoris qui l’engagerent à établir sans nécessité des édits bursaux, & à les faire vérifier par son parlement.

Les peuples voyant que du trône & du sanctuaire de la Justice, il ne sortoit plus que des édits d’oppression, perdirent peu à peu le respect & l’affection qu’ils portoient au prince & au parlement. Les chefs de la ligue ne manquerent pas de s’en prévaloir, & en recueillant ces édits onéreux, d’attiser le mépris & l’aversion du peuple.

Henri III. ne regnoit plus : ses mignons disposoient insolemment & souverainement des finances, pendant que la ligue catholique & les confédérés protestans se faisoient la guerre malgré lui dans les provinces ; les maladies contagieuses & la famine se joignoient à tant de fléaux. C’est dans ces momens de calamités, que, pour opposer des favoris au duc de Guise, il dépensa quatre millions aux nôces du duc de Joyeuse. De nouveaux impôts qu’il mit à ce sujet, changerent les marques d’affection en haine & en indignation publique.

Dans ces conjonctures, le duc d’Anjou son frere, vint dans les Pays-Bas, chercher au milieu d’une désolation non moins funeste, une principauté qu’il perdit par une tirannique imprudence, que sa mort suivit de près.

Cette mort rendant le roi de Navarre le plus proche héritier de la couronne, parce qu’on regardoit comme une chose certaine, qu’Henri III. n’auroit point d’enfans, servit de prétexte au duc de Guise, pour se déclarer chef de la ligue, en faisant craindre aux François d’avoir pour roi un prince séparé de l’Eglise. En même tems, le pape fulmina contre le roi de Navarre & le prince de Condé, cette fameuse bulle dans laquelle il les appelle génération bâtarde & détestable de la maison de Bourbon ; il les déclare en conséquence déchus de tout droit & de toute succession. La ligue profitant de cette bulle, força le roi à poursuivre son beau-frere qui vouloit le secourir, & à seconder le duc de Guise qui vouloit le détrôner.

Ce duc, de son côté, persuada au vieux cardinal de Bourbon, oncle du roi de Navarre, que la couronne le regardoit, afin de se donner le tems, à l’abri de ce nom, d’agir pour lui-même. Le vieux cardinal, charmé de se croire l’héritier présomptif de la couronne, vint à aimer le duc de Guise comme son soutien, à haïr le roi de Navarre son neveu, comme son rival, & à lever l’étendart de la ligue contre l’autorité royale, sans ménagement, sans crainte & sans mesure.

Il fit plus ; il prit en 1585, dans un manifeste public, le titre de premier prince du sang, & recommandoit aux François de maintenir la couronne dans la branche catholique. Le manifeste étoit appuyé des noms de plusieurs princes, & entr’autres, de ceux