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tardent pas à gagner. Hippocrate, d’après l’observation, regarde cette maladie comme plus commune en automne, & particulierement affectée aux adultes, Aphor. 22 & 40. lib. III. D’autres pensent au contraire qu’elle doit être plus fréquente en hiver & plus appropriée aux gens vieux.

Pour que cette maladie ait lieu, il faut absolument qu’il ne se fasse aucune digestion dans l’estomac, que les alimens éludent entierement l’action dissolvante des sucs gastriques, διαδιδρήσκει πᾶν ἔργον ἡ τροφὴ, dit Aretée. Cette condition, qui est absolument nécessaire, suffit ; car lorsque les menstrues de l’estomac n’ont fait aucune impression sur les alimens, ils sont insolubles & inaltérables par les sucs des intestins. La premiere élaboration doit précéder nécessairement la seconde, & la seconde coction, suivant l’axiome justement reçu, ne sauroit corriger les vices de la premiere. La foiblesse, l’atonie extrème de l’estomac, la rapidité des sucs gastriques, sont une cause très-simple, mais peut-être pas aussi fréquente, de ce défaut total de digestion : il est assez difficile à comprendre comment l’estomac pourroit venir à ce dernier point de relâchement, excepté peut-être quelques cas très rares de paralysie de viscere, encore y auroit-il alors lienterie ? Comment les alimens seroient-ils poussés dans le pylore, car ce passage est une excrétion active ? Il pourroit aussi se faire que le cours des humeurs qui concourent à la digestion stomachale fût intercepté : alors il y auroit indigestion totale, & peut-être aussi lienterie.

On a cru, & sans doute avec plus de raison, que la digestion pouvoit être empêchée par quelqu’irritation dans les intestins, par des ulceres, par exemple ; c’est un sentiment qu’Asclepiade a le premier soutenu, que Galien a réfuté, que quelques modernes ont renouvellé, & qui pourroit être appuyé, 1°. sur l’Aphorisme 72. liv VII. d’Hippocrate, ἐπὶ δυσεντερίῃ λειεντερίη ἐπιγίνεται, à la dissenterie survient la lienterie ; 2°. sur les symptômes qu’on observe dans quelques lienteries, douleurs, tranchées, excrétions sanguinolentes, &c ; 3°. sur l’observation de Bontius, medecine des Indiens, liv. III. chap. xij, qui dit avoir trouvé des abscès au mésentere de la plûpart des personnes qui étoient mortes de la lienterie ; 4°. sur l’analogie qui nous fait voir dans le dlabete l’irritation des reins, suivie de l’excrétion des boissons inaltérées, sous le nom & par les conduits de l’urine ; 5°. sur l’épidémicité de cette maladie dans certaines constitutions de l’air ; 6°. enfin, parce qu’il est certain qu’une irritation dans les intestins est très-capable d’empêcher la digestion, & d’attirer, pour me servir des termes expressifs & usités des anciens, les alimens dans leur conduit. Il est incontestable que les lavemens pris en certaine quantité & forts, dérangent, troublent & arrêtent la digestion : je suis persuadé qu’on pourroit par ce moyen exciter une lienterie artificielle.

La polissure, lævitas, des intestins paroît par-là être une cause très-insuffisante & précaire de la lienterie, tout au plus pourroit-elle déterminer une passion cœliaque ; il en est de même de l’obstruction des vaisseaux lactés, qui est aussi fort inutile dans cette maladie, & qui n’est propre qu’à occasionner le flux chyleux. La plûpart des auteurs admettent pour cause de la lienterie toute sorte d’abscès, de suppurations internes aux reins, aux poumons, les vapeurs noires, comme dit Menjot, qui s’échappent d’une vomique ouverte, parce qu’on a observé dans la même personne ces deux maladies en même tems. Ils raisonnent à-peu-près comme ceux qui attribuent à l’opération d’un remede la guérison d’une maladie aiguë, effet constant de la nature ; post hoc, concluent-ils, ego propter hoc. L’excrétion des alimens inaltérés, le défaut en conséquence du nouveau chyle, pour

nourrir & séparer, donnent la raison de tous les phénomenes qu’on observe dans cette maladie, de l’exténuation, de la maigreur, de la mort prochaine, &c. On observe cependant que ces accidens ne sont pas aussi prompts que dans ceux qui ne mangent pas du tout ; cependant les alimens sont souvent rendus peu de tems après avoir été pris, & sans la moindre altération : ce qui peut dépendre & de la sensation agréable & restaurante qu’opere le poids des alimens sur l’estomac, & de ce qu’il échappe toujours des alimens quelques particules subtiles, quelques vapeurs qui entrent par les pores absorbans de l’estomac & des intestins : τροφὴ καὶ πνεῦμα, dit Iiippocrate, l’esprit est aussi nourriture.

Il n’est pas possible de se méprendre dans la connoissance de cette maladie. Pour la différencier des autres flux de ventre avec lesquels elle a quelque rapport, il n’y a qu’à examiner la nature des excrémens ; on la distinguera surement, 1°. de la passion cœliaque, qui n’en est qu’un degré, une demi lienterie, si l’on peut ainsi parler ; parce que les alimens ont souffert l’action des menstrues gastriques, ils sont dans un état chimeux ; 2°. du flux chyleux dans lequel on voit du chyle mêlé avec les excremens ; 3°. du cours de ventre colliquatif, par l’odeur fétide, putride, cadavéreuse qui s’exhale des excrémens, par leur couleur, &c. &c. &c. Il est à propos pour la pratique de ne pas confondre les causes qui ont produit la lienterie : elles se réduisent à deux chefs principaux, comme nous avons dit ; les unes consistent dans l’abolition absolue des fonctions digestives de l’estomac, les autres dans l’irritation du conduit intestinal. Lorsque la lienterie doit être attribuée à la premiere cause, la faim canine, ensuite le défaut d’appétit, quelquefois aussi la passion cœliaque précédent ; il y a ptialisme, pesanteur d’estomac, &c. Lorsqu’elle dépend de l’irritation & sur-tout de l’éxulcération des intestins, elle succede à la dissenterie, n’est point précédée de passion cœliaque, de faim canine, &c. Le malade éprouve des ardeurs, des tranchées, un morsus formicans dans le bas-ventre ; il y a soif, sécheresse dans le gosier, âpreté & rudesse de la langue, les excrétions sont sanieuses, &c.

La lienterie n’est jamais, comme quelques autres cours de ventre, salutaire, critique ; c’est une maladie très-grave, sur-tout funeste aux vieillards : il est rare qu’on en guérisse. Nicolas Pechlin raconte n’avoir vu que trois personnes lientériques, dont aucune ne put réchapper. C’est à tort que M. Lieutaud dit, & sur-tout sans restriction, que la passion cœliaque est plus dangereuse que la lienterie. « Lorsque la lienterie est jointe à une respiration difficile & poing de côté, elle se termine en éthisie, tabem. Les malades qui, après avoir été tourmentés long-tems de lienterie, rendent par les selles des vers avec des tranchées & des douleurs violentes, deviennent enflés quand ces symptômes disparoissent ». Hippocrate, coac. prænot.

Le danger dans la lienterie est proportionné à la fréquence des selles, à la diminution des urines, à l’état des excrémens plus ou moins altérés. Le danger est pressant & la mort prochaine si le visage est rouge, marqueté de différentes couleurs, si le bas-ventre est mol, sale & ridé, & sur-tout si dans ces circonstances le malade est âgé. Il y a au contraire espoir de guérison si les symptômes precédens manquent, si la quantité des urines commence à se proportionner à celle de la boisson, si le corps prend quelque nourriture, s’il n’y a point de fievre, si le malade rend des vents mêlés avec les excrémens. Hippocrate regarde comme un signe très-favorable s’il survient des rots acides qui n’avoient pas encore paru ; il a vérifié ce prognostic heureux dans Demanéta : ce qui prouve un commencement de digestion ;