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même religion, indépendamment du droit naturel, reclamoit contre l’esclavage des negres ? c’est qu’elles en ont besoin pour leurs colonies, leurs plantations, & leurs mines. Auri sacra fames !

Liberté civile, (Droit des nations.) c’est la liberté naturelle dépouillée de cette partie qui faisoit l’indépendance des particuliers & la communauté des biens, pour vivre sous des lois qui leur procurent la sûreté & la propriété. Cette liberté civile consiste en même tems à ne pouvoir être forcé de faire une chose que la loi n’ordonne pas, & l’on ne se trouve dans cet état, que parce qu’on est gouverné par des lois civiles ; ainsi plus ces lois sont bonnes, plus la liberté est heureuse.

Il n’y a point de mots, comme le dit M. de Montesquieu, qui ait frappé les esprits de tant de manieres différentes, que celui de liberté. Les uns l’ont pris pour la facilité de déposer celui à qui ils avoient donné un pouvoir tyrannique ; les autres pour la facilité d’élire celui à qui ils devoient obéir ; tels ont pris ce mot pour le droit d’être armé, & de pouvoir exercer la violence ; & tels autres pour le privilege de n’être gouvernés que par un homme de leur nation, ou par leurs propres lois. Plusieurs ont attaché ce nom à une forme de gouvernement, & en ont exclu les autres. Ceux qui avoient goûté du gouvernement républicain, l’ont mise dans ce gouvernement, tandis que ceux qui avoient joui du gouvernement monarchique, l’ont placé dans la monarchie. Enfin, chacun a appellé liberté, le gouvernement qui étoit conforme à ses coutumes & à ses inclinations : mais la liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent ; & si un citoyen pouvoit faire ce qu’elles défendent, il n’auroit plus de liberté, parce que les autres auroient tous de même ce pouvoir. Il est vrai que cette liberté ne se trouve que dans les gouvernemens modérés, c’est-à-dire dans les gouvernemens dont la constitution est telle, que personne n’est contraint de faire les choses auxquelles la loi ne l’oblige pas, & à ne point faire celles que la loi lui permet.

La liberté civile est donc fondée sur les meilleures lois possibles ; & dans un état qui les auroit en partage, un homme à qui on feroit son procès selon les lois, & qui devroit être pendu le lendemain, seroit plus libre qu’un bacha ne l’est en Turquie. Par conséquent, il n’y a point de liberté dans les états où la puissance législative & la puissance exécutrice sont dans la même main. Il n’y en a point à plus forte raison dans ceux où la puissance de juger est réunie à la législatrice & à l’exécutrice.

Liberté politique, (Droit politique.) la liberté politique d’un état est formée par des lois fondamentales qui y établissent la distribution de la puissance législative, de la puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens, & de la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil, de maniere que ces trois pouvoirs sont liés les uns par les autres.

La liberté politique du citoyen, est cette tranquillité d’esprit qui procede de l’opinion que chacun a de sa sûreté ; & pour qu’on ait cette sûreté, il faut que le gouvernement soit tel, qu’un citoyen ne puisse pas craindre un citoyen. De bonnes lois civiles & politiques assurent cette liberté ; elle triomphe encore, lorsque les lois criminelles tirent chaque peine de la nature particuliere du crime.

Il y a dans le monde une nation qui a pour objet direct de sa constitution la liberté politique ; & si les principes sur lesquels elle la fonde sont solides, il faut en reconnoître les avantages. C’est à ce sujet, que je me souviens d’avoir oui dire à un beau génie d’Angleterre, que Corneille avoit mieux peint la hauteur des sentimens qu’inspire la liberté politique,

qu’aucun de leurs poëtes, dans ce discours que tient Viriate à Sertorius.

Affranchissons le Tage, & laissons faire au Tibre :
La liberté n’est rien quand tout le monde est libre.
Mais il est beau de l’être, & voir tout l’univers
Soupirer sous le joug, & gémir dans les fers.
Il est beau d’étaler cette prérogative
Aux yeux du Rhône esclave, & de Rome captive,
Et de voir envier aux peuples abattus,
Ce respect que le fort garde pour les vertus.

Sertorius, act. IV. sc. vj.

Je ne prétends point décider que les Anglois jouissent actuellement de la prérogative dont je parle ; il me suffit de dire avec M. de Montesquieu, qu’elle est établie par leurs lois ; & qu’après tout, cette liberté politique extrème ne doit point mortifier ceux qui n’en ont qu’une modérée, parce que l’excès même de la raison n’est pas toûjours desirable, & que les hommes en général s’accommodent presque toûjours mieux des milieux que des extrémités. (D. J.)

Liberté de penser, (Morale.) Ces termes, liberté de penser, ont deux sens ; l’un général, l’autre borné. Dans le premier ils signifient cette généreuse force d’esprit qui lie notre persuasion uniquement à la vérité. Dans le second, ils expriment le seul effet qu’on peut attendre, selon les esprits forts, d’un examen libre & exact, je veux dire, l’inconviction. Autant que l’un est louable & mérite d’être applaudi, autant l’autre est blamable, & mérite d’être combattu. La véritable liberté de penser tient l’esprit en garde contre les préjugés & la précipitation. Guidée par cette sage Minerve, elle ne donne aux dogmes qu’on lui propose, qu’un degré d’adhésion proportionné à leur degré de certitude. Elle croit fermement ceux qui sont évidens ; elle range ceux qui ne le sont pas parmi les probabilités ; il en est sur lesquels elle tient sa croyance en équilibre ; mais si le merveilleux s’y joint, elle en devient moins crédule ; elle commence à douter, & se méfie des charmes de l’illusion. En un mot elle ne se rend au merveilleux qu’après s’être bien prémunie contre le penchant trop rapide qui nous y entraîne. Elle ramasse sur-tout toutes ses forces contre les préjugés que l’éducation de notre enfance nous fait prendre sur la religion, parce que ce sont ceux dont nous nous défaisons le plus difficilement ; il en reste toujours quelque trace, souvent même après nous en être éloignés ; lassés d’être livrés à nous-mêmes, un ascendant plus fort que nous, nous tourmente & nous y fait revenir. Nous changeons de mode, de langage ; il est mille choses sur lesquelles insensiblement nous nous accoutumons à penser autrement que dans l’enfance ; notre raison se porte volontiers à prendre ces nouvelles formes ; mais les idées qu’elle s’est faites sur la religion, sont d’une espece respectable pour elle ; rarement ose-t-elle les examiner ; & l’impression que ces préjugés ont faite sur l’homme encore enfant, ne périt communément qu’avec lui. On ne doit pas s’en étonner ; l’importance de la matiere jointe à l’exemple de nos parens que nous voyons en être réellement persuadés, sont des raisons plus que suffisantes pour les graver dans notre cœur, de maniere qu’il soit difficile de les en effacer. Les premiers traits que leurs mains impriment dans nos ames, en laissent toujours des impressions profondes & durables ; telle est notre superstition, que nous croyons honorer Dieu par les entraves où nous mettons notre raison ; nous craignons de nous démasquer à nous-mêmes, & de nous surprendre dans l’erreur, comme si la vérité avoit à redouter de paroître au grand jour.

Je suis bien éloigné d’en conclure qu’il faille pour