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narchiques, ont été sans succès ; soit avant, soit surtout depuis que l’Imprimerie est répandue dans toute l’Europe. Les libelles odieux & justement défendus, ne sont, par la punition de leurs auteurs, que plus recherchés & plus multipliés. Sous l’empire de Néron un nommé Fabricius Véjento ayant été convaincu de quantité de libelles contre les sénateurs & le clergé de Rome, fut banni d’Italie, & ses écrits satyriques condamnés au feu : on les rechercha, dit Tacite, on les lut avec la derniere avidité tant qu’il y eut du péril à le faire ; mais dès qu’il fut permis de les avoir, personne ne s’en soucia plus. Le latin est au-dessus de ma traduction : Convictum Vejetonem, Italiâ depulit. Nero, libros exuri jussit, conquisitos, lectitatosque, donec cum periculo parabantur ; mox licentia habendi, oblivionem attulit. Annal. liv. XIV. ch. l.

Néron, tout Néron qu’il étoit, empêcha de poursuivre criminellement les écrivains des satyres contre sa personne, & laissa seulement subsister l’ordonnance du sénat, qui condamnoit au bannissement & à la confiscation des biens le préteur Antistius, dont les libelles étoient les plus sanglans. Henri IV. eh quel aimable prince ! se contenta de lasser le duc de Mayenne à la promenade, pour peine de tous les libelles diffamatoires qu’il avoit semés contre lui pendant le cours de la ligue ; & quand il vit que le duc de Mayenne suoit un peu pour le suivre : « Allons, dit-il, mon cousin nous reposer présentement, voilà toute la vengeance que j’en voulois ».

Un auteur françois très-moderne, qui est bien éloigné de prendre le parti des libelles & qui les condamne séverement, n’a pu cependant s’empêcher de réfléchir que certaines flatteries peuvent être encore plus dangereuses & par conséquent plus criminelles aux yeux d’un prince ami de la gloire, que des libelles faits contre lui. Une flatterie, dit-il, peut à son insçu détourner un bon prince du chemin de la vertu, lorsqu’un libelle peut quelquefois y ramener un tyran : c’est souvent par la bouche de la licence que les plaintes des opprimés s’élevent jusqu’au trône qui les ignore.

A dieu ne plaise que je prétende que les hommes puissent insolemment répandre la satyre & la calomnie sur leurs supérieurs ou leurs égaux ! La religion, la morale, les droits de la vérité, la nécessité de la subordination, l’ordre, la paix & le repos de la société concourent ensemble à détester cette audace ; mais je ne voudrois pas, dans un état policé, réprimer la licence par des moyens qui détruiroient inévitablement toute liberté. On peut punir les abus par des lois sages, qui dans leur prudente exécution réuniront la justice avec le plus grand bonheur de la société & la conservation du gouvernement. (D. J.)

LIBELLÉ, adj. (Jurisprud.) signifie qui est motivé & appuyé. L’ordonnance de 1667 veut que l’ajournement soit libellé, & contienne sommairement les moyens de la demande, titre 2. article j. (A)

LIBELLI, s. m. pl. (anc. Jurisprud. rom.) les libelli étoient à Rome les informations dans lesquelles les accusateurs écrivoient le nom & les crimes de l’accusé ; ils donnoient ensuite ces informations au juge ou au préteur, qui les obligeoit de les signer avant que de les recevoir. (D. J.)

LIBENTINA, s. f. (Litter.) déesse du plaisir. De libendo, dit Varron, se sont faits les noms libido, libidinosus, Libentina, & autres. Plaute appelle cette déesse Lubentia quand il dit, Asin. act. II. sc. 2. v. 2. uti ego illos Lubentiores faciam, quam Lubentia est. C’est Vénus libentine selon Lambin, la déesse de la joie. (D. J.)

LIBER, (Mythol.) c’est-à-dire libre, surnom qu’on donnoit à Bacchus, ou parce qu’il procura la liberté aux villes de la Béotie, ou plûtôt parce qu’étant le dieu du vin, il délivre l’esprit de tout souci, & fait

qu’on parle librement ; on lui joignoit souvent le mot pater, comme qui diroit le pere de la joie & de la liberté.

Quelques payens s’étoient imaginés que les Juifs adoroient aussi leur dieu liber, parce que les prêtres hébreux jouoient des instrumens de musique, de la flûte & du tambour dans les cérémonies judaïques, & qu’ils possédoient dans leur temple une vigne d’or ; mais Tacite n’adopte point ce sentiment ; car, dit-il, Bacchus aime les fêtes où regne la bonne chere & la gaité, au lieu que celles des Juifs sont absurdes & sordides. Quippe liber festos, lætosque ritus instituit, Judæorum mos absurdus, sordidusque. (D. J.)

Liber, (Littér.) nom latin qu’on a donné aux pellicules prises d’entre l’écorce & le tronc de certains arbres, dont on se servoit dans plusieurs pays pour écrire : on nommoit pareillement les pellicules d’arbres employées à cet usage, corticea charta. Il n’en faut pas confondre la matiere avec celle du papier d’Egypte. Comme les charges du papier d’Egypte n’abordoient que sur les côtes de la mer Méditerranée, les pays éloignés de cette mer en pouvoient souvent manquer ; & alors entre les diverses substances qu’ils essayerent pour y suppléer, on compte les pellicules d’arbres, le liber dont nous venons de parler, d’où est venu le nom de livre. (D. J.)

LIBERA, (Mythol.) Il y avoit une déesse Libera que Cicéron, dans son livre de la nature des dieux, fait fille de Jupiter & de Cérès. Ovide dans ses fastes dit que le nom de libera fut donné par Bacchus à Ariadne, qu’il consola de l’infidélité de Thésée. Il y a des médailles & des monumens consacrés à Liber & à Libera tout ensemble : Libera y est représentée couronnée de feuilles de vignes, de même que Bacchus. Les médailles consulaires de la famille Cassia, nous offrent les portraits de Liber & de Libera comme ils sont nommés dans les anciennes inscriptions, c’est à-dire, selon plusieurs antiquaires, de Bacchus mâle & de Bacchus femelle. (D. J.)

LIBÉRALES, liberalia, s. f. pl. (Littér.) fêtes qu’on célébroit à Rome en l’honneur de Bacchus le 17 de Mars, à l’imitation des dionisiaques d’Athènes. Voyez Dionisysiennes.

Ovide dit dans ses Tristes qu’il a souvent assisté aux fêtes libérales. Varron ne dérive pas le nom de cette fête de Liber, Bacchus, mais du mot liber, considéré comme adjectif, qui veut dire libre, parce que les prêtres de Bacchus se trouvoient libres de leurs fonctions & dégagés de tous soins au tems des libérales. C’étoit des femmes qui faisoient les cérémonies & les sacrifices de la fête : on les voyoit couronnées de lierre à la porte du temple, ayant devant elles un foyer & des liqueurs composées avec du miel, & invitant les passans à en acheter pour en faire des libations à Bacchus en les jettant dans le feu. On mangeoit en public ce jour-là, & la joie libre régnoit dans toute la ville. (D. J.)

LIBERALITÉ, s. f. (Morale.) c’est une disposition à faire part aux hommes de ses propres biens ; elle doit, comme toutes les qualités qui ont leur source dans la bienveillance, la pitié, & le desir des louanges, &c. être subordonnée à la justice pour devenir une vertu. La libéralité ne peut être exercée que par les particuliers, parce qu’ils ont des biens qui leur sont propres ; elle est injuste & dangereuse dans les souverains. Le roi de Prusse n’étant encore que prince royal, avoit récompensé libéralement une actrice célebre ; il la récompensa beaucoup moins lorsqu’il fut roi, & il dit à cette occasion ces paroles remarquables : autrefois je donnois mon argent, & je donne aujourd’hui celui de mes sujets.

La libéralité, comme on voit, est donc une vertu qui consiste à donner à propos, sans intérêt, ni trop, ni trop peu.