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Lettres pour ester a droit, sont des lettres de grande chancellerie que le roi accorde à ceux qui étant in reatu, ont laissé écouler les cinq années sans se présenter & purger leur contumace. Le roi par le bénéfice de ces lettres les releve de tems qui s’est passé, & les reçoit à ester à droit & à se purger des cas à eux imposés, quoiqu’il y ait plus de cinq ans passés, tout ainsi qu’ils auroient pu faire avant le jugement de contumace, à la charge de se mettre en état dans trois mois du jour de l’obtention, lors de la présentation des lettres, de refonder les frais de contumace, de consigner les amendes & les sommes si aucunes ont été adjugées aux parties civiles, & à la charge que foi sera ajoûtée aux témoins recolés & décédés, ou morts civilement pendant la contumace.

Le roi dispense quelquefois par les lettres de consigner les amendes, soit à cause de la pauvreté de l’impétrant, ou par quelqu’autre considération.

On obtient quelquefois des lettres de cette espece même dans les cinq années de la contumace, à l’effet d’être reçu à ester à droit, sans consigner les amendes adjugées au roi. (A)

Lettres d’Etat, sont des lettres de grande chancellerie contresignées d’un sécrétaire d’état, que le roi accorde aux ambassadeurs, aux officiers de guerre & autres personnes qui sont absentes pour le service de l’état, par lesquelles le roi ordonne de surseoir toutes les poursuites qui pourroient être faites en justice contre eux, en matiere civile, durant le tems porté par ces lettres.

Quelques-uns ont prétendu trouver l’origine des lettres d’état jusque dans la loi des 12 tables, art. 40. & 41. où il est dit : Si judex vel alter ex litigatoribus morbo sentico impediatur, judicii dies diffusus esto.

Ulpien dans la loi 2. § 3. ff. si quis caution. dit que toute sorte de maladies ou d’infirmités qui empêche l’une des parties de poursuivre, arrête aussi le cours des poursuites contre cette même partie.

Mais ce qui est dit à ce sujet, soit dans cette loi ou dans celle des 12 tables, fait proprement la matiere des délais & surséances que le juge peut accorder selon le mérite du procès, l’excuse des parties ou autres causes légitimes.

Ce que dit Tite-Live, liv. II. de son histoire romaine, a plus de rapport aux lettres d’etat. Il parle d’un édit de Pub. Servilius & d’Appius Claudius consuls : ne quis militis donec in castris esset bona possideret aut venderet.

Le jurisconsulte Callistrate en parle aussi fort clairement en la loi 36, au digeste de judiciis. Ex justis causis, dit-il, & certis personis sustinendæ sunt cognitiones, veluti si instrumenta litis apud eos esse dicantur qui reipublicæ causâ absunt.

Ce même privilege est établi par la 140e regle de droit : absentia ejus qui reipublicæ causâ abest, neque ei, neque alii damnosa esse debet.

Dans les anciennes ordonnances les lettres d’état sont appellées lettres de surséance ; il en est parlé dans celles de Philippe le Bel en 1316, sur le fait des aides ; art. 8. de Philippe VI. en 1358 ; du roi Jean, en 1364 ; de Charles VII. en 1453, articles 55, 56 & 57.

Mais anciennement pour jouir de ce bénéfice, il falloit que l’absent ne fût pas salarié de son absence, autrement elle étoit regardée comme affectée, comme il fut jugé au parlement de Paris en 1391, contre le baillif d’Auxerre, étant en Bourgogne pour une enquête, en une cause concernant le roi, sur les deniers duquel il étoit payé chaque jour.

L’ordonnance de 1669, tit. des lettres d’état, veut qu’on n’en accorde qu’aux personnes employées aux affaires importantes pour le service du roi ; ce qui s’applique à tous les officiers actuellement employés

à quelque expédition militaire. Pour obtenir des lettres d’état, il faut qu’ils rapportent un certificat du secrétaire d’état ayant le département de la guerre, de leur service actuel, à peine de nullité.

Autrefois les lieutenans du roi dans les armées royales avoient le pouvoir d’accorder de ces sortes de lettres, mais elles furent rejettées par un arrêt du parlement de l’an 1393, & depuis ce droit a été reservé au roi seul.

Ces sortes de lettres ne s’accordent ordinairement que pour six mois, à compter du jour de l’impétration, & ne peuvent être renouvellées que quinze jours avant l’expiration des précédentes ; & il faut que ce soit pour de justes considérations qui soient exprimées dans les lettres.

Quand les lettres sont débattues d’obreption ou de subreption, les parties doivent se retirer par devant le roi pour leur être pourvû ; les juges ne peuvent passer outre à l’instruction & jugement des procès, au préjudice de la signification des lettres.

Elles n’empêchent pas néanmoins les créanciers de faire saisir réellement les immeubles de leur débiteur, & de faire registrer la saisie ; mais on ne peut procéder au bail judiciaire ; & si les lettres ont été signifiées depuis le bail, les criées peuvent être continuées jusqu’au congé d’adjuger inclusivement. Les opposans au decret ne peuvent se servir de telles lettres pour arrêter la poursuite, ni le bail ou l’adjudication.

Les opposans à une saisie mobiliaire, ne peuvent pas non plus s’en servir pour retarder la vente des meubles saisis.

Les lettres d’état n’ont point d’effet dans les affaires où le roi a intérêt, ni dans les affaires criminelles ; ce qui comprend le faux tant principal qu’incident.

Celui qui a obtenu des lettres d’état ne peut s’en servir que dans les affaires où il a personnellement intérêt, sans que ses pere & mere ou autres parens, ni ses coobligés, cautions & certificateurs, puissent s’aider de ces mêmes lettres.

Néanmoins les femmes, quoique séparées de biens, peuvent se servir des lettres d’état de leurs maris dans les procès qu’elles ont de leur chef, contre d’autres personnes que leurs maris.

Les tuteurs honoraires & onéraires, & les curateurs, ne peuvent se servir pour eux des lettres qu’ils ont obtenues pour ceux qui sont sous leur tutelle & curatelle.

Les lettres d’état ne peuvent empêcher qu’il soit passé outre au jugement d’un procès ou instance, lorsque les juges ont commencé à opiner avant la signification des lettres.

On ne peut à la faveur des lettres d’état se dispenser de payer le prix d’une charge, ni pour le prix d’un bien adjugé par justice, ni pour se dispenser de consigner ou de rembourser l’acquéreur en matiere de retrait féodal ou lignager, ni de rendre compte, ni pour arrêter un partage.

Elles n’ont pas lieu non plus en matiere de restitution de dot, payement de douaire & conventions matrimoniales, payement de légitime, alimens, médicamens, loyers de maison, gages de domestiques, journées d’artisans, reliquats de compte de tutele, dépôt nécessaire, & maniement de deniers publics, lettres & billets de change, exécution de sociétés de commerce, caution judiciaire, frais funéraires, arrérages de rentes seigneuriales & foncieres, & redevances de baux emphitéotiques.

Ceux qui interviennent dans un procès, ne peuvent faire signifier des lettres d’état pour arrêter le jugement, que leur intervention n’ait été reçue ; & s’ils interviennent comme donataires ou cessionnaires, autrement que par contrat de mariage ou partage de famille, ils ne peuvent faire signifier de