Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 9.djvu/419

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des foires de Brie & de Champagne, ce qui est dit des lettres passées dans ces foires ne doit s’entendre que des obligations & contrats qui étoient passés sous le scel de ces foires, soit pour prêt d’argent, soit pour vente de marchandises, mais on n’y trouve rien qui dénote qu’il fût question de lettres tirées de place en place, qui est ce qui caractérise essentiellement les lettres de change.

La plus ancienne ordonnance que j’aie trouvé où il soit véritablement parlé de ces sortes de lettres, c’est l’édit du roi Louis XI. du mois de Mars 1462, portant confirmation des foires de Lyon. L’article 7 ordonne que comme dans les foires les marchands ont accoutumé user de changes, arriere-changes & intérêts, toutes personnes, de quelqu’état, nation ou condition qu’ils soient, puissent donner, prendre & remettre leur argent par lettres de change, en quelque pays que ce soit, touchant le fait de marchandise, excepté la nation d’Angleterre, &c.

L’article suivant ajoute que si à l’occasion de quelques lettres touchant les changes faits ès foires de Lyon pour payer & rendre argent autre part ou des lettres qui seroient faites ailleurs pour rendre de l’argent auxdites foires de Lyon, lequel argent ne seroit pas payé selon lesdites lettres, en faisant aucune protestation ainsi qu’ont accoutumé de faire les marchands fréquentant les foires, tant dans le royaume qu’ailleurs, qu’en ce cas ceux qui seront tenus de payer ledit argent tant pour le principal que pour les dommages & intérêts, y seront contraints, tant à à cause des changes, arriere changes, qu’autrement, ainsi qu’on a coutume de faire ès foires de Pezenas, Montignac, Bourges, Genève, & autres foires du royaume.

On voit par ces dispositions que les lettres de change tirées de place en place étoient déja en usage, non seulement à Lyon, mais aussi dans les autres foires & ailleurs.

La jurisdiction consulaire de Toulouse, établie en 1549, celle de Paris établie en 1563, & les autres qui ont été ensuite établies dans plusieurs autres villes du royaume, ont entr’autres choses pour objet de connoître du fait des lettres de change entre marchands.

L’ordonnance de 1673 pour le Commerce, est la premiere qui ait établi des regles fixes & invariables pour l’usage des lettres de change ; c’est ce qui fait l’objet du titre V, intitulé des lettres & billets de change & des promesses d’en fournir ; & du titre 6, des intérêts du change & rechange.

L’usage des lettres de change n’a d’abord été introduit que parmi les marchands, banquiers & négocians, pour la facilité du Commerce qu’ils font, soit avec les provinces, soit dans les pays étrangers. Il a été ensuite étendu aux receveurs des tailles, receveurs généraux des finances, fermiers du roi, traitans, & autres gens d’affaire & de finance, à cause du rapport qu’il y a entr’eux & les marchands & négocians pour retirer des provinces les deniers de leur recette, au lieu de les faire voiturer ; & comme ces sortes de personnes négocient leur argent & leurs lettres de change, ils deviennent à cet égard justiciables de la jurisdiction consulaire.

Les personnes d’une autre profession qui tirent, endossent ou acceptent des lettres de change, deviennent pareillement justiciables de la jurisdiction consulaire, & même soumis à la contrainte par corps ; c’est pourquoi il ne convient point à ceux qui ont des bienséances à garder dans leur état, de tirer, endosser ou accepter des lettres de change ; mais toutes sortes de personnes peuvent sans aucun inconvénient être porteurs d’une lettre de change tirée à leur profit.

Les ecclésiastiques ne peuvent se mêler du com-

merce des lettres de change : les lettres qu’ils adressent

à leurs fermiers ou receveurs ne sont que de simples rescriptions ou mandemens qui n’emportent point de contrainte par corps, quoique ces mandemens aient été négociés.

Il se forme, par le moyen d’une lettre de change un contrat entre le tireur & celui qui donne la valeur ; le tireur s’oblige de faire payer le montant de la lettre de change.

Il entre même dans ce contrat jusqu’à quatre personnes ou du-moins trois, savoir celui qui en fournit la valeur, le tireur, celui sur qui la lettre de change est tirée & qui doit l’acquittement, & celui à qui elle est payable ; mais ces deux derniers ne contractent aucune obligation envers le tireur, & n’entrent dans le contrat que pour l’exécution, quoique suivant les cas ils puissent avoir des actions pour l’exécution de la convention.

Le contrat qui se forme par le moyen d’une lettre de change n’est point un prêt, c’est un contrat du droit des gens & de bonne foi, un contrat nommé contrat de change : c’est une espece d’achat & vente de même que les cessions & transports, car celui qui tire la lettre de change, vend, cede & transporte la créance qu’il a sur celui qui la doit payer.

Ce contrat est parfait par le seul consentement, comme l’achat & la vente ; tellement que lorsqu’on traite d’un change pour quelque payement ou foire dont l’échéance est éloignée, il peut arriver que l’on ne délivre pas pour lors la lettre de change ; mais pour la preuve de la convention, il faut qu’il y ait un billet portant promesse de fournir la lettre de change, ce billet est ce que l’on appelle billet de change, lequel, comme l’on voit, est totalement différent de la lettre même ; & si la valeur de la lettre de change n’a pas non plus été fournie, le billet de change doit être fait double, afin de pouvoir prouver respectivement le consentement.

Les termes ou échanges des payemens des lettres de change, sont de cinq sortes.

La premiere est des lettres payables à vûe ou à volonté : celles-ci doivent être payées aussi-tôt qu’elles sont présentées.

La seconde est des lettres payables à tant de jours de vûe : en ce cas le délai ne commence à courir que du jour que la lettre a été présentée.

La troisieme est des lettres payables à tant de jours d’un tel mois, & alors l’échéance est déterminée par la lettre même.

La quatrieme est à une ou plusieurs usances, qui est un terme déterminé par l’usage du lieu où la lettre de change doit être payée, & qui commence à courir ou du jour de la date de la lettre de change ou du jour de l’acceptation, il est plus long ou plus court, suivant l’usage de chaque place. En France les usances sont fixées à trente jours par l’ordonnance du Commerce, titre V, ce qui a toujours lieu, encore que les mois ayent plus ou moins de trente jours ; mais dans les places étrangeres il y a beaucoup de diversité. A Londres, par exemple, l’usance des lettres de France est du mois de la date ; en Espagne deux mois ; à Venise, Gènes & Livourne trois mois, & ainsi des autres pays : on peut voir à ce sujet le parfait négociant de Savary.

La cinquieme espece de terme pour les lettres de change est en payemens ou aux foires, ce qui n’a lieu que pour les places où il y a des foires établies, comme à Lyon, Francfort & autres endroits, & ce tems est déterminé par les réglemens & statuts de ces foires.

Les lettres de change doivent contenir sommairement le nom de ceux auxquels le contenu doit en être payé, le tems du payement, le nom de celui qui en a donné la valeur, & expliquer si cette valeur