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LESCHERNUVIS, s. m. (terme de relation.) c’est, selon nos voyageurs, le nom qu’on donne en Perse au tribunal où l’on reçoit & ou l’on examine les placets & requêtes de ceux qui demandent quelque chose au sophi, soit payement de dette ou d’appointement, soit récompense, ou quelque nouveau bienfait.

LESCHEZ le, (Géog.) petite riviere de France en Gascogne, qui a sa source en Bigorre, & se jette dans l’Adour, à l’entrée de l’Armagnac.

LESE-MAJESTE, crime de, (Droit politique.) c’est, selon Ulpien, un attentat formel contre l’empire, ou contre la vie de l’empereur. Puis donc que cet attentat tend directement à dissoudre l’empire ou le gouvernement, & à détruire toute obligation des lois civiles, il est de la derniere importance d’en fixer la nature, comme a fait l’auteur de l’esprit des lois dans plusieurs chapitres de son douzieme livre. Plus le crime est horrible, plus il est essentiel de n’en point donner le nom à une action qui ne l’est pas. Ainsi déclarer les faux-monnoyeurs coupables du crime de lese-majesté, c’est confondre les idées des choses. Etendre ce crime au duel, à des conspirations contre un ministre d’état, un général d’armée, un gouverneur de province, ou bien à des rébellions de communautés, à des réceptions de lettres d’un prince avec lequel on est en guerre, faute d’avoir déclaré ses lettres, c’est encore abuser des termes. Enfin, c’est diminuer l’horreur du crime de lese-majesté, que de porter ce nom sur d’autres crimes. Voilà pourquoi je pense que les distinctions de crimes de lese-majesté au premier, au second, au troisieme chef, ne forment qu’un langage barbare que nous avons emprunté des Romains. Quand la loi Julie eut établi bien des crimes de lese-majesté, il fallut nécessairement distinguer ces crimes ; mais nous ne devons pas être dans ce cas là.

Qu’on examine le caractere des législateurs qui ont étendu le crime de lese-majesté à tant de choses différentes, & l’on verra que c’étoient des usurpateurs ou des tyrans, comme Auguste & Tibere, ou comme Gratian, Valentinien, Aicadius, Honorius, des princes chancelans sur le trône, esclaves dans leurs palais, enfans dans le conseil, étrangers aux armées, & qui ne garderent l’empire, que parce qu’ils le donnerent tous les jours. L’un fit la loi de poursuivre comme sacrilege, quiconque douteroit du mérite de celui qu’il avoit choisi pour quelque emploi. Un autre déclara que ceux qui attentent contre les ministres & les officiers du prince, sont criminels de lese-majesté ; & ce qui est encore plus honteux, c’est sur cette loi que s’appuyoit le rapporteur de M. de Cinq-Mars, pour satisfaire la vengeance du cardinal de Richelieu.

La loi Julie déclaroit coupable de lese-majesté, celui qui fondroit des statues de l’empereur qui avoient été reprouvées ; celui qui vendroit des statues de l’empereur qui n’avoient pas été consacrées ; & celui qui commettroit quelque action semblable ; ce qui rendoit ce crime aussi arbitraire, que si on l’établissoit par des allégories, des métaphores, ou des conséquences.

Il y avoit dans la république de Rome une loi de majestate, contre ceux qui commettroient quelque attentat contre le peuple romain. Tibere se saisit de cette loi, & l’appliqua non pas au cas pour lequel elle avoit été faite, mais à tout ce qui put servir sa haine ou ses défiances. Ce n’étoient pas seulement les actions qui tomboient dans le cas de cette loi, mais des paroles indiscretes, des signes, des songes, le silence même. Il n’y eut plus de liberté dans les festins, de confiance dans les parentés, de fidélité dans les esclaves. La dissimulation & la tristesse sombre de Tibere se communiquant par-tout, l’amitié fut

regardée comme un écueil, l’ingénuité comme une imprudence, & la vertu comme une affectation qui pouvoit rappeller dans l’esprit de peuples, le bonheur des tems précédens.

Les songes mis au rang des crimes de lese-majesté, est une idée qui fait frémir. Un certain Mactyas, dit Plutarque, raconte avoir songé qu’il coupoit la gorge à Denys ; le tyran le sut, & le fit mourir, prétendant qu’il n’y auroit pas songé la nuit, s’il n’y avoit pas pensé le jour ; mais quand il y auroit pensé, il faut pour établir un crime, que la pensée soit jointe à quelque action.

Les paroles indiscretes, peu respectueuses, devinrent la matiere de ce crime ; mais il y a tant de différence entre l’indiscrétion, les termes peu mesurés, & la malice ; & il y en a si peu dans les expressions qu’elles emploient, que la loi ne peut guere commettre les paroles à une peine capitale, à-moins qu’elle ne déclare expressément celles qu’elle y soumet. La plupart du tems les paroles ne signifient quelque chose, que par le ton dont on les dit ; souvent en redisant les mêmes paroles, on ne rend pas le même sens, parce que ce sens dépend de la liaison qu’elles ont avec d’autres choses. Comment donc peut-on sans tyrannie, en faire un crime de lèse-majesté ?

Dans le manifeste de la feue czarine, donnée en 1740, contre la famille d’Olgourouki, un de ces princes est condamné à mort, pour avoir proféré des paroles indécentes qui avoient du rapport à la personne de l’impératrice. Un autre pour avoir malignement interprété ses sages dispositions pour l’empire, & offensé sa personne sacrée par des paroles peu respectueuses. S’il est encore des pays où cette loi regne, la liberté, je dirai mieux, son ombre même, ne s’y trouve pas plus qu’en Russie. Des paroles ne deviennent des crimes que lorsqu’elles accompagnent une action criminelle, qu’elles y sont jointes, ou qu’elles la suivent. On renverse tout, si l’on fait des paroles un crime capital.

Les écrits contiennent quelque chose de plus permanent que les paroles ; mais lorsqu’ils ne préparent pas au crime de lese-majesté, on en fait plutôt dans la monarchie un sujet de police, que de crime. Ils peuvent ces écrits, dit M. de Montesquieu, amuser la malignité générale, consoler les mécontens, diminuer l’envie contre les places, donner au peuple la patience de souffrir, & le faire rire de ses souffrances. Si quelque trait va contre le monarque, ce qui est rare, il est si haut que le trait n’arrive point jusques à lui : quelque décemvir en peut être effleuré, mais ce n’est pas un grand malheur pour l’état.

Je ne prétends point diminuer par ces réflexions, l’indignation que méritent ceux qui par des paroles ou des écrits, chercheroient à flétrir la gloire de leur prince ; mais une punition correctionnelle est sans doute plus convenable que toute autre. César se montra fort sage, en dédaignant de se venger de ceux qui avoient publié des libelles diffamatoires très-violens contre sa personne ; c’est Suétone qui porte ce jugement : si quæ dicerentur adversùs se, inhibere maluit quàm vindicare, Aulique Cecinnæ criminosissimo libro, & Pitholaï carminibus, laceratam existimationem suam, civili animo tulit. Trajan ne voulut jamais permettre que l’on fît la moindre recherche contre ceux qui avoient malicieusement inventé des impostures contre son honneur & sa conduite : quasi contentus esset magnitudine suâ, quâ nulli magis caruerunt, quàm qui sibi majestatem vindicarent, dit si bien Pline le jeune. Voyez le mot Libelle.

Rien ne fut plus fatal à la liberté romaine, que la loi d’Auguste, qui fit regarder certains écrits comme objets du crime de lese-majesté. Cremutius Cordus en fut accusé, parce que dans ses annales, il