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étoit fort décriée par les mœurs de ses habitans, qui étoient presque tous autant de voleurs : personne ne vouloit avoir commerce avec eux ; & les Juifs ont encore ce proverbe : qu’il faut changer de domicile lorsqu’on a un pumdébitain pour voisin. Rabbin Chasda ne laissa pas de la choisir l’an 290 pour y enseigner. Comme il avoit été collegue de Huna qui régentoit à Sora, il y a lieu de soupçonner que quelque jalousie ou quelque chagrin personnel l’engagea à faire cette erection. Il ne put pourtant donner à sa nouvelle académie le lustre & la réputation qu’avoit déja celle de Sora, laquelle tint toujours le dessus sur celle de Pumdebita.

On érigea deux autres académies l’an 373, l’une à Naresch proche de Sora, & l’autre à Machusia ; enfin il s’en éleva une cinquieme à la fin du dixieme siecle, dans un lieu nommé Peruts Sciabbur, où l’on dit qu’il y avoit neuf mille Juifs.

Les chefs des académies ont donné beaucoup de lustre à la nation juive par leurs écrits, & ils avoient un grand pouvoir sur le peuple ; car comme le gouvernement des Juifs dépend d’une infinité de cas de conscience, & que Moïse a donné des lois politiques qui sont aussi sacrées que les cérémonielles, ces docteurs qu’on consultoit souvent étoient aussi les maître des peuples. Quelques-uns croient même que depuis la ruine du temple, les conseils étant ruinés ou confondus avec les académies, le pouvoir appartenoit entierement aux chefs de ces académies.

Parmi tous ces docteurs juifs, il n’y en a eu aucun qui se soit rendu plus illustre, soit par l’intégrité de ses mœurs, soit par l’étendue de ses connoissances, que Juda le Saint. Après la ruine de Jérusalem, les chefs des écoles ou des académies qui s’étoient élévées dans la Judée, ayant pris quelque autorité sur le peuple par les leçons & les conseils qu’ils lui donnoient, furent appellés princes de la captivité. Le premier de ces princes fut Gamaliel, qui eut pour successeur Simeon III. son fils, après lequel parut Juda le Saint dont nous parlons ici. Celui-ci vint au monde le même jour qu’Attibas mourut ; & on s’imagine que cet événement avoit été prédit par Salomon, qui a dit qu’un soleil se leve, & qu’un soleil se couche. Attibas mourut sous Adrien, qui lui fit porter la peine de son imposture. Ghédalia place la mort violente de ce fourbe l’an 37, après la ruine du temple, qui seroit la cent quarante-troisieme année de l’ére chrétienne ; mais alors il seroit évidemment faux que cet événement fût arrivé sous l’empire d’Adrien qui étoit déja mort ; & si Juda le Saint naissoit alors, il faut nécessairement fixer sa naissance à l’an 135 de J. C. On peut remarquer, en passant, qu’il ne faut pas s’arrêter aux calculs des Juifs, peu jaloux d’une exacte chronologie.

Le lieu de sa naissance étoit Tsippuri. Ce terme signifie un petit oiseau, & la ville étoit située sur une des montagnes de la Galilée. Les Juifs, jaloux de la gloire de Juda, lui donnent le titre de saint, ou même de saint des saints, à cause de la pureté de sa vie. Cependant je n’ose dire en quoi consistoit cette pureté ; elle paroîtroit badine & ridicule. Il devint le chef de la nation, & eut une si grande autorité, que quelques-uns de ses disciples ayant osé le quitter pour aller faire une intercalation à Lydde, ils eurent tous un mauvais regard ; c’est-à dire, qu’ils moururent tous d’un châtiment exemplaire : mais ce miracle est fabuleux.

Juda devint plus recommandable par la répétition de la loi qu’il publia. Ce livre est un code du droit civil & canonique des Juifs, qu’on appelle Misnah. Il crut qu’il étoit souverainement nécessaire d’y travailler, parce que la nation dispersée en tant de lieux, avoit oublié les rites, & se seroit éloignée de la religion & de la jurisprudence de ses ancêtres, si on les confioit uniquement à leur mémoire. Au lieu

qu’on expliquoit auparavant la tradition selon la volonté des professeurs, ou par rapport à la capacité des étudians, ou bien enfin selon les circonstances qui le demandoient, Juda fit une espece de système & de cours qu’on suivit depuis exactement dans les académies. Il divisa ce rituel en six parties. La premiere roule sur la distinction des semences dans un champ, les arbres, les fruits, les décimes, &c. La seconde regle, l’observance des fêtes. Dans la troisieme qui traite des femmes, on décide toutes les causes matrimoniales. La quatrieme qui regarde les pertes, roule sur les procès qui naissent dans le commerce, & les procédures qu’on y doit tenir : on y ajoute un traité d’idolatrie, parce que c’est un des articles importans sur lesquels roulent les jugemens. La cinquieme partie regarde les oblations, & on examine dans la derniere tout ce qui est nécessaire à la purification.

Il est difficile de fixer le tems auquel Juda le Saint commença & finit cet ouvrage, qui lui a donné une si grande réputation. Il faut seulement remarquer, 1°. qu’on ne doit pas le confondre avec le thalmud, dont nous parlerons bien-tôt, & qui ne fut achevé que long-tems après. 2°. On a mal placé cet ouvrage dans les tables chronologiques des synagogues, lorsqu’on compte aujourd’hui 1614 ans depuis sa publication ; car cette année tomberoit sur l’année 140 de J. C. où Juda le Saint ne pouvoit avoir que quatre ans. 3°. Au contraire, on le retarde trop, lorsqu’on assure qu’il fut publié cent cinquante ans après la ruine de Jérusalem ; car cette année tomberoit sur l’an 220 ou 218 de J. C. & Juda étoit mort auparavant. 4°. En suivant le calcul qui est le plus ordinaire, Juda doit être né l’an 135 de J. C. Il peut avoir travaillé à ce recueil depuis qu’il fut prince de la captivité, & après avoir jugé souvent les différends qui naissoient dans sa nation. Ainsi on peut dire qu’il le fit environ l’an 180, lorsqu’il avoit quarante-quatre ans, à la fleur de son âge, & qu’une assez longue expérience lui avoit appris à décider les questions de la loi.

Juda s’acquit une si grande autorité par cet ouvrage, qu’il se mit au-dessus des lois ; car au lieu que pendant que Jérusalem subsistoit, les chefs du Sanhédrim étoient soumis à ce conseil, & sujets à la peine, Juda, si l’on en croit les historiens de sa nation, s’éleva au-dessus des anciennes lois, & Siméon, fils de Lachis, ayant osé soutenir que le prince devoit être foüetté lorsqu’il péchoit, Juda envoya ses officiers pour l’arrêter, & l’auroit puni sévérement, s’il ne lui étoit échappé par une prompte fuite. Juda conserva son orgueil jusqu’à la mort ; car il voulut qu’on portât son corps avec pompe, & qu’on pleurât dans toutes les grandes villes où l’enterrement passeroit, défendant de le faire dans les petites. Toutes les villes coururent à cet enterrement ; le jour fut prolongé, & la nuit retardée jusqu’à ce que chacun fût de retour dans sa maison, & eût le tems d’allumer une chandelle pour le sabbat. La fille de la voix se fit entendre, & prononça que tous ceux qui avoient suivi la pompe funebre seroient sauvés, à l’exception d’un seul qui tomba dans le desespoir, & se précipita.

Origine du Thalmud & de la Gémare. Quoique le recueil des traditions, composé par Juda le Saint, sous le titre de Misnah, parût un ouvrage parfait, on ne laissoit pas d’y remarquer encore deux défauts considérables : l’un, que ce recueil étoit confus, parce que l’auteur y avoit rapporté le sentiment de différens docteurs, sans les nommer, & sans décider lequel de ces sentimens méritoit d’être préféré ; l’autre défaut rendoit ce corps de Droit canon presque inutile, parce qu’il étoit trop court, & ne résolvoit qu’une petite partie des cas douteux, & des questions qui commencoient à s’agiter chez les Juifs.