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Si l’on considere une ville sous différens points, on la voit différente ; c’est une multiplication d’optique. Ainsi la multitude des substances simples est si grande, qu’on croiroit qu’il y a une infinité d’univers différens ; mais ce ne sont que des images sunographiques d’un seul considéré sous différens aspects de chaque monade. Voilà la source de la vérité, de l’ordre, de l’économie, & de la plus grande perfection possible, & cette hypothese est la seule qui réponde à la grandeur, à la sagesse & à la magnificence de Dieu.

Les choses ne peuvent donc être autrement qu’elles sont, Dieu ayant produit la monade pour le tout, le tout pour la monade qui le représente non parfaitement, mais d’une maniere confuse, non pour elle, mais pour Dieu, sans quoi elle seroit elle-même Dieu.

La monade est limitée non dans ses rapports, mais dans sa connoissance. Toutes tendent à un même but infini. Toutes ont en elles des raisons suffisantes de cet infini, mais avec des bornes & des degrés différens de perceptions ; & ce que nous disons des simples, il faut l’entendre des composés.

Tout étant plein, tous les êtres liés, tout mouvement se transmet avec plus ou moins d’énergie à raison de la distance, tout être reçoit en lui l’impression de ce qui se passe par-tout, il en a la perception, & Dieu qui voit tout, peut lire en un seul être ce qui arrive en tout, ce qui y est arrivé & ce qui y arrivera, & il en seroit de même de la monade, si le loin des distances, des affoiblissemens ne s’exécutoit sur elle, & d’ailleurs elle est finie.

L’ame ne peut voir en elle que ce qui y est distinct ; elle ne peut donc être à toutes les perfections, parce qu’elles sont diverses & infinies.

Quoique l’ame ou toute monade créée soit représentative de l’univers, elle l’est bien mieux du corps auquel elle est attachée, & dont elle est l’entéléchie.

Or le corps, par sa connexion au tout, représentant le tout, l’ame par sa connexion au corps & au tout, le représente aussi.

Le corps & la monade, son entéléchie, constituent ce que nous appellons l’être vivant ; le corps & la monade, son ame, constitue l’animal.

Le corps d’un être, soit animal, soit vivant, est toujours organique ; car qu’est-ce que l’organisation ? un assemblage formant un tout relatif à un autre. D’où il s’ensuit que les parties sont toutes représentatives de l’universalité ; la monade par ses perceptions, le corps par sa forme & ses mouvemens, ou états divers.

Un corps organique d’un être vivant est une sorte de machine divine, surpassant infiniment tout automate artificiel. Qu’est-ce qui a pû empêcher le grand Ouvrier de produire ces machines ? la matiere n’est-elle pas divisible à l’infini, n’est-elle pas même actuellement divisée à l’infini ?

Or cette machine divine représentant le tout, n’a pû être autre qu’elle est.

Il y a donc, à parler à la rigueur, dans la plus petite portion de matiere un monde de créatures vivantes, animales, entéléchies, ames, &c.

Il n’y a donc dans l’univers rien d’inutile, ni stérile, ni de mort, nul cahos, nulle confusion réelle.

Chaque corps a une entéléchie dominante, c’est l’ame dans l’animal ; mais ce corps a ses membres pleins d’autres êtres vivans, de plantes, d’animaux, &c. & chacun de ceux-ci a avec son ame dominante son entéléchie.

Tous les corps sont en vicissitudes, des parties s’en échappent continuellement, d’autres y entrent.

L’ame ne change point. Le corps change peu-à-peu ; il y a des métamorphoses, mais nulle métempsycose. Il n’y a point d’ames sans corps.

Conséquemment il n’y a ni génération, ni mort parfaite ; tout se réduit à des développemens & à des dépérissemens successifs.

Depuis qu’il est démontré que la putréfaction n’engendre aucun corps organique, il s’ensuit que le corps organique existoit à la conception, & que l’ame occupoit ce corps préexistant, & que l’animal étoit, & qu’il n’a fait que paroître sous une autre forme.

J’appellerois spermatiques, ces animaux qui parviennent par voie de conception à une grandeur considérable ; les autres, qui ne passent point sous des formes successives, naissant, croissant, sont multipliés & détruits.

Les grands animaux n’ont guere un autre sort ; ils ne font que se montrer sur la scene. Le nombre de ceux qui changent de théatre est petit.

Si naturellement un animal ne commence point, naturellement il ne finit point.

L’ame, miroir du monde indestructible, n’est point détruite. L’animal même perd ses enveloppes, & en prend d’autres ; mais à-travers ses métamorphoses, il reste toujours quelque chose de lui.

On déduit de ces principes l’union ou plûtôt la convenance de l’ame & d’un corps organique. L’ame a ses lois qu’elle suit, & le corps les siennes. S’ils sont unis, c’est par la force de l’harmonie préétablie entre toutes les substances, dont il n’y a pas une seule qui ne soit représentative de l’univers.

Les ames agissent selon les lois des causes finales, par des appétits, par des moyens & par des fins ; les corps, selon les lois des causes efficientes ou motrices, & il y a, pour ainsi dire, deux regnes coordonnés entr’eux, l’un des causes efficientes, l’autre des causes finales.

Descartes a connu l’impossibilité que l’ame donnât quelque force ou mouvement aux corps, parce que la quantité de force reste toujours la même dans la nature, cependant il a cru que l’ame pouvoit changer la direction des corps. Ce fut une suite de l’ignorance où l’on étoit de son tems sur une loi de nature, qui veut que la même direction totale persévere dans la matiere. Avec cette connoissance de plus, & le pas qu’il avoit déja fait, il seroit infailliblement arrivé au système de l’harmonie préétablie ; selon ce système, le corps agissant, comme si par impossible il n’y avoit point d’ame, & les ames, comme si par impossible il n’y avoit point de corps, & tous les deux, comme s’ils influoient l’un sur l’autre. Il est incroyable comment deux lois méchaniques, géométriquement démontrées, l’une sur la somme du mouvement dans la nature, l’autre sur la direction des parties de la matiere, ont eu un effet sur le système de l’union de l’ame avec le corps. Je demanderois volontiers si ces spéculations physico mathématiques & abstraites, appliquées aux choses intellectuelles, n’obscurcissent pas au lieu d’éclairer, & n’ébranlent pas plûtôt la distinction des deux substances qu’elles n’en expliquent le commerce. D’ailleurs, quelle foule d’autres difficultés ne naissent pas de ce système Leibtnitien, sur la nature & sur la grace, sur les droits de Dieu & sur les actions des hommes, sur la volonté, la liberté, le bien & le mal, les châtimens présens & à venir ! &c.

Dieu a créé l’ame dans le commencement, de maniere qu’elle se représente & produit en elle tout ce qui s’exécute dans le corps, & le corps, de maniere qu’il exécute tout ce que l’ame se représente & veut.

L’ame produit ses perceptions & ses appétits, le corps ses mouvemens, & l’action de l’une des substances conspire avec l’action de l’autre, en conséquence du concert que Dieu a ordonné entre eux dans la formation du monde.

Une perception précédente est la cause d’une per-