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d’allégories, ne conviennent point aux auteurs de la religion chrétienne, ni aux chrétiens.

4°. Les Thérapeutes s’enfermoient toute la semaine sans sortir de leurs cellules, & même sans oser regarder par les fenêtres, & ne sortoient de-là que le jour du sabbat, portant leurs mains sous le manteau : l’une entre la poitrine & la barbe, & l’autre sur le côté. Reconnoit-on les Chrétiens à cette posture ? & le jour de leur assemblée qui étoit le samedi, ne marque-t-il pas que c’étoient là des Juifs, rigoureux observateurs du jour du repos que Moïse avoit indiqué ? Accoutumés comme la cigale à vivre de rosée, ils jeûnoient toute la semaine, mais ils mangeoient & se reposoient le jour du sabbat. Dans leurs têtes ils avoient une table sur laquelle on mettoit du pain, pour imiter la table des pains de proposition que Moïse avoit placée dans le temple. On chantoit des hymnes nouveaux, & qui étoient l’ouvrage du plus ancien de l’assemblée ; mais lorsqu’il n’en composoit pas, on prenoit ceux de quelque ancien poëte. On ne peut pas dire qu’il y eût alors d’anciens poëtes chez les Chrétiens ; & ce terme ne convient guere au prophête David. On dansoit aussi dans cette fête ; les hommes & les femmes le faisoient en mémoire de la mer Rouge, parce qu’ils s’imaginoient que Moïse avoit donné cet exemple aux hommes, & que sa sœur s’étoit mise à la tête des femmes pour les faire danser & chanter. Cette fête duroit jusqu’au lever du soleil ; & des le moment que l’aurore paroissoit, chacun se tournoit du côté de l’orient, se souhaitoit le bon jour, & se retiroit dans sa cellule pour méditer & contempler Dieu : on voit là la même superstition pour le soleil qu’on a déja remarquée dans les Esséniens du premier ordre.

5°. Enfin, on n’adopte les Thérapeutes qu’à cause de leurs austérités, & du rapport qu’ils ont avec la vie monastique.

Mais ne voit-on pas de semblables exemples de tempérance & de chasteté chez les payens, & particulierement dans la secte de Pythagore, à laquelle Josephe la comparoit de son tems ? La communauté des biens avoit ébloui Eusebe, & l’avoit obligé de comparer les Esséniens aux fideles dont il est parlé dans l’histoire des Actes, qui mettoient tout en commun. Cependant les disciples de Pythagore faisoient la même chose ; car c’étoit une de leurs maximes, qu’il n’étoit pas permis d’avoir rien en propre. Chacun apportoit à la communauté ce qu’il possédoit : on en assistoit les pauvres, lors même qu’ils étoient absens ou éloignés ; & ils poussoient si loin la charité, que l’un d’eux condamné au supplice par Denys le tyran, trouva un pleige qui prit sa place dans la prison ; c’est le souverain degré de l’amour que de mourir les uns pour les autres. L’abstinence des viandes étoit sévérement observée par les disciples de Pythagore, aussi-bien que par les Thérapeutes. On ne mangeoit que des herbes crues ou bouillies. Il y avoit une certaine portion de pain réglée, qui ne pouvoit ni charger ni remplir l’estomac : on le frottoit quelquefois d’un peu de miel. Le vin étoit défendu, & on n’avoit point d’autre breuvage que l’eau pure. Pythagore vouloit qu’on négligeât les plaisirs & les voluptés de cette vie, & ne les trouvoit pas dignes d’arrêter l’homme sur la terre. Il rejettoit les onctions d’huile comme les Thérapeutes : ses disciples portoient des habits blancs ; ceux de lin paroissoient trop superbes, ils n’en avoient que de laine. Ils n’osoient ni railler, ni rire, & ils ne devoient point jurer par le nom de Dieu, parce que chacun devoit faire connoître sa bonne foi, & n’avoir pas besoin de ratifier sa parole par un serment. Ils avoient un profond respect pour les vieillards, devant lesquels ils gardoient long-tems le silence. Il n’osoient faire de l’eau en présence du soleil, superstition que les Thérapeutes avoient encore empruntée d’eux.

Enfin ils étoient fort entêtés de la spéculation & du repos qui l’accompagne ; c’est pourquoi ils en faisoient un de leurs préceptes les plus importans.

O juvenes ! tacitâ colite hac pia sacra quiete ;


disoit Pythagore à ses disciples, à la tête d’un de ses ouvrages. En comparant les sectes des Thérapeutes & des Pythagoriciens, on les trouve si semblables dans tous les chefs qui ont ébloui les Chrétiens, qu’il semble que l’une soit sortie de l’autre. Cependant si on trouve de semblables austérités chez les payens, on ne doit plus être étonné de les voir chez les Juifs éclairés par la loi de Moïse ; & on ne doit pas leur ravir cette gloire pour la transporter au Christianisme.

Histoire de la philosophie juive depuis la ruine de Jérusalem. La ruine de Jérusalem causa chez les Juifs des révolutions qui furent fatales aux Sciences. Ceux qui avoient échappé à l’epée des Romains, aux flammes qui réduisirent en cendres Jérusalem & son temple, ou qui après la désolation de cette grande ville, ne furent pas vendus au marché comme des esclaves & des bêtes de charge, tâcherent de chercher une retraite & un asile. Ils en trouverent un en Orient & à Babylone, où il y avoit encore un grand nombre de ceux qu’on y avoit transportés dans les anciennes guerres : il étoit naturel d’aller implorer là la charité de leurs freres, qui s’y étoient fait des établissemens considérables. Les autres se refugierent en Egypte, où il y avoit aussi depuis long-tems beaucoup de Juifs puissans & assez riches pour recevoir ces malheureux, mais ils porterent là leur esprit de sédition & de révolte, ce qui y causa un nouveau massacre. Les rabins assurent que les familles considérables furent transportées dès ce tems-là en Espagne, qu’ils appelloient sépharad ; & que c’est dans ce lieu où sont encore les restes des tribus de Benjamin & de Judas les descendans de la maison de David : c’est pourquoi les juifs de ce pays-là ont toujours regardé avec mépris ceux des autres nations, comme si le sang royal & la distinction des tribus s’étoient mieux conservées chez eux, que par-tout ailleurs. Mais il y eut un quatrieme ordre de juifs qui pourroient à plus juste titre se faire honneur de leur origine. Ce furent ceux qui demeurerent dans leur patrie, ou dans les masures de Jérusalem, ou dans les lieux voisins, dans lesquels ils se distinguerent en rassemblant un petit corps de la nation, & par les charges qu’ils y exercerent. Les rabbins assurent même que Tite fit transporter le sanhédrim à Japhné ou Jamnia, & qu’on érigea deux académies, l’une à Tibérias, & l’autre à Lydde. Enfin ils soutiennent qu’il y eut aussi dès ce tems-là un patriarche qui après avoir travaillé à rétablir la religion & son église dispersée, étendit son autorité sur toutes les synagogues de l’Occident.

On prétend que les académies furent érigées l’an 220 ou l’an 230 ; la plus ancienne étoit celle de Nahardea, ville située sur les bords de l’Euphrate. Un rabbin nommé Samuel prit la conduite de cette école : ce Samuel est un homme fameux dans sa nation. Elle le distingue par les titres de vigilant, d’arioch, de sapor boi, & de lunatique, parce qu’on prétend qu’il gouvernoit le peuple aussi absolument que les rois font leurs sujets, & que le chemin du ciel lui étoit aussi connu que celui de son académie. Il mourut l’an 270 de J. C. & la ville de Nahardea ayant été prise l’an 278, l’académie fut ruinée.

On dit encore qu’on érigea d’abord l’académie à Sora, qui avoit emprunté son nom de la Syrie ; car les Juifs le donnent à toutes les terres qui s’étendent depuis Damas & l’Euphrate, jusqu’à Babylone, & Sora étoit située sur l’Euphrate.

Pumdebita étoit une ville située dans la Mésopotamie, agréable par la beauté de ses édifices. Elle