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mée. Après eux venoient les princes, armés de même aussi-bien que les triaires, à l’exception que ceux-ci portoient une espece d’esponton court, dont le fer étoit long & fort. On les opposoit ordinairement à la cavalerie, parce que cette arme étoit plus de résistance que les javelines & les dards des princes & des hastaires. On donna aux triaires ce nom, parce qu’ils formoient la troisieme ligne & l’élite de l’armée ; mais dans les nouveaux ordres de bataille qu’introduisit Marius, on plaça les triaires aux premiers rangs : c’étoient toujours les plus vieux & les plus riches soldats qui formoient les triaires, & c’étoit devant eux qu’on portoit l’aigle de la légion. On ne pouvoit entrer dans ce corps avant l’âge de 17 ans, & outre cela il falloit être citoyen romain : cependant il y eut des circonstances où l’on y admit des affranchis ; & après l’âge de 46 ans on n’étoit plus obligé de servir. Le tems du service des légionaires n’étoit pourtant que de 16 ans. Avant Septime Severe il n’étoit pas permis aux légionaires de se marier, ou du moins de mener leurs femmes en campagne avec eux. La discipline militaire de ces soldats étoit très-sévere ; ils menoient une vie dure, faisoient de longues marches chargés de pesans fardeaux ; & soit en paix, soit en guerre, on les tenoit continuellement en haleine, soit en fortifiant des places & des camps, soit en formant ou en réparant les grands chemins : aussi voit-on peu d’occasions où cette infanterie romaine ne soit demeurée victorieuse.

LEGIS, soies legis, (Comm.) elles viennent de Perse, & sont les plus belles après les sousbassi ou cherbassi. Elles sont en balles de 20 battemens chacune, le battement de six occos, ou 18 livres 12 onces, poids de Marseille, & 15 livres poids de marc. Il y a les legis vourines, les legis bourmes ou bourmeo, les legis ardasses. Ces dernieres sont les plus grosses. Voyez le dictionn. de Commerce.

LÉGISLATEUR, s. m. (Politiq.) Le législateur est celui qui a le pouvoir de donner ou d’abroger les lois. En France, le roi est le législateur ; à Genève, c’est le peuple ; à Venise, à Genes, c’est la noblesse ; en Angleterre, ce sont les deux chambres & le roi.

Tout législateur doit se proposer la sécurité de l’état & le bonheur des citoyens.

Les hommes, est se réunissant en société, cherchent une situation plus heureuse que l’état de nature, qui avoit deux avantages, l’égalité & la liberté, & deux inconvéniens, la crainte de la violence & la privation des secours, soit dans les besoins nécessaires, soit dans les dangers. Les hommes, pour se mettre à l’abri de ces inconvéniens, ont consenti donc à perdre un peu de leur égalité & liberté ; & le législateur a rempli son objet, lorsqu’en ôtant aux hommes le moins qu’il est possible d’égalité & de liberté, il leur procure le plus qu’il est possible de sécurité & de bonheur.

Le législateur doit donner, maintenir ou changer des lois constitutives ou civiles.

Les lois constitutives sont celles qui constituent l’espece du gouvernement. Le législateur, en donnant ces lois, aura égard à l’étendue de pays que possede la nation, à la nature de son sol, à la puissance des nations voisines, à leur génie, & au génie de sa nation.

Un petit état doit être républicain ; les citoyens y sont trop éclairés sur leurs intérêts : ces intérêts sont trop peu compliqués pour qu’ils veuillent laisser décider un monarque qui ne seroit pas plus éclairé qu’eux ; l’état entier pourroit prendre dans un moment la même impression qui seroit souvent contraire aux volontés du roi ; le peuple, qui ne peut constamment s’arrêter dans les bornes d’une juste liber-

té, seroit indépendant au moment où il voudroit

l’être : cet éternel mécontentement attaché à la condition d’homme & d’homme qui obéit, ne s’y borneroit pas aux murmures, & il n’y auroit pas d’intervalle entre l’humeur & la résolution.

Le législateur verra que dans un pays fertile, & où la culture des terres occupe la plus grande partie des habitans, ils doivent être moins jaloux de leur liberté, parce qu’ils n’ont besoin que de tranquillité, & qu’ils n’ont ni la volonté ni le tems de s’occuper des détails de l’administration. D’ailleurs, comme dit le président de Montesquieu, quand la liberté n’est pas le seul bien, on est moins attentif à la défendre : par la même raison, des peuples qui habitent des rochers, des montagnes peu fertiles, sont moins disposés au gouvernement d’un seul ; leur liberté est leur seul bien ; & de plus, s’ils veulent, par l’industrie & le commerce, remplacer ce que leur refuse la nature, ils ont besoin d’une extrème liberté.

Le législateur donnera le gouvernement d’un seul aux états d’une certaine étendue : leurs différentes parties ont trop de peine à se réunir tout-à-coup pour y rendre les révolutions faciles : la promptitude des résolutions & de l’exécution, qui est le grand avantage du gouvernement monarchique, fait passer, quand il le faut & dans un moment, d’une province à l’autre, les ordres, les châtimens, les secours. Les différentes parties d’un grand état sont unies sous le gouvernement d’un seul ; & dans une grande république il se formeroit nécessairement des factions qui pourroient la déchirer & la détruire : d’ailleurs les grands états ont beaucoup de voisins, donnent de l’ombrage, sont exposés à des guerres fréquentes ; & c’est ici le triomphe du gouvernement monarchique ; c’est dans la guerre sur-tout qu’il a de l’avantage sur le gouvernement républicain ; il a pour lui le secret, l’union, la célérité, point d’opposition, point de lenteur. Les victoires des Romains ne prouvent rien contre moi ; ils ont soumis le monde ou barbare, ou divisé, ou amolli ; & lorsqu’ils ont ou des guerres qui mettoient la république en danger, ils se hâtoient de créer un dictateur, magistrat plus absolu que nos rois. La Hollande, conduite pendant la paix par ses magistrats, a créé des stathouders dans ses guerres contre l’Espagne & contre la France.

Le législateur fait accorder les lois civiles aux lois constitutives : elles ne seront pas sur beaucoup de cas les mêmes dans une monarchie que dans une république, chez un peuple cultivateur & chez un peuple commerçant ; elles changeront selon les tems, les mœurs & les climats. Mais ces climats ont-ils autant d’influence sur les hommes que quelques auteurs l’ont prétendu, & influent-ils aussi peu sur nous que d’autres auteurs l’ont assuré ? Cette question mérite l’attention du législateur.

Partout les hommes sont susceptibles des mêmes passions, mais ils peuvent les recevoir par différentes causes & en différentes manieres ; ils peuvent recevoir les premieres impressions avec plus ou moins de sensibilité ; & si les climats ne mettent que peu de différence dans le genre des passions, ils peuvent en mettre beaucoup dans les sensations.

Les peuples du nord ne reçoivent pas comme les peuples du midi, des impressions vives, & dont les effets sont prompts & rapides. La constitution robuste, la chaleur concentrée par le froid, le peu de substance des alimens font sentir beaucoup aux peuples du nord le besoin public de la faim. Dans quelques pays froids & humides, les esprits animaux sont engourdis, & il faut aux hommes des mouvemens violens pour leur faire sentir leur existance.