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dans ce cas en infusion ou en substance à la dose de trois ou quatre. Appliquées extérieurement elles résolvent & fortifient puissamment, & appaisent les douleurs.

On peut s’appuyer des connoissances que l’analyse chymique nous en fournit, pour établir la réalité de la plûpart de ces vertus. En effet, les baies de laurier contiennent une quantité considérable d’une huile grasse de la nature des huiles par expression (voyez Huile), & une autre huile éthérée & aromatique, qu’on peut séparer de ces baies par une seule & même opération ; savoir, la distillation avec l’eau ; car l’huile grasse ou beurre de baie de laurier en est séparée par la décoction, & vient nager sous la forme d’une graisse verdâtre, & ensuite se figer sur la surface de l’eau employée dans la distillation.

C’est cette derniere huile ou beurre qui constitue la partie médicamenteuse vraiment spéciale de ces baies ; elle est résolutive, adoucissante, discussive, vulnéraire.

Les baies de laurier épuisées des deux huiles dont nous venons de parler, en fournissent encore une troisieme si on les pile & qu’on les mette à la presse : celle-ci est principalement fournie par la semence ou amende contenue dans le noyau de la baie : elle est moins douce que les huiles ordinaires tirées par expression des semences émulsives, parce qu’elle est chargée d’un peu de beurre ou d’huile essentielle : on l’emploie, mais très-rarement, dans les linimens, les onguens & les emplâtres.

On recommande ces deux dernieres huiles contre la galle ; mais elles ne fournissent par elles-mêmes qu’un secours fort impuissant contre cette maladie. Si on les mêle avec du soufre, qui est dans ce cas le véritable spécifique, elles pourront être utiles, comme correctif de l’odeur desagréable.

Les feuilles, les baies de laurier, & les trois différentes huiles dont nous venons de parler, entrent dans un grand nombre de préparations officinales, tant extérieures qu’intérieures. Les baies donnent leur nom à un électuaire stomachique, hystérique & emménagogue, qui est fort peu employé dans la pratique ordinaire de la Medecine.

Outre les huiles de baies de laurier dont nous avons parlé ci-dessus, on en prépare encore une quatrieme en les faisant infuser & bouillir dans de l’huile d’olive : on emploie celle-ci aux mêmes usages que l’huile par décoction & l’huile par expression ; elle est parfaitement analogue à la matiere qui résulteroit du mélange de ces deux dernieres.

On connoît assez l’emploi qu’on fait dans nos cuisines des feuilles de laurier. La consommation en est assez considérable à Paris pour que certains paysans trouvent moyen de gagner leur vie en apportant de plus de 50 lieues de grosses branches de laurier avec leurs feuilles, qu’ils y viennent vendre. On les fait entrer sur-tout comme assaisonnement dans les sauces que l’on fait à certains poissons. Plusieurs medecins ont prétendu qu’elles étoient nuisibles à l’estomac ; d’autres ont cru au contraire qu’elles le fortifioient & qu’elles aidoient la digestion. L’opinion des premiers paroît pouvoir tirer quelque appui de l’analogie du laurier-franc avec le laurier-rose, qui a été de tous les tems reconnu pour un poison, & de la découverte qu’on a faite depuis quelques années en Angleterre, des qualités dangereuses d’un autre arbre de la même classe ; savoir, le laurier-cerise. Voyez Laurier-rose & Laurier-cerise. Cependant cette induction ne suffit point assurément pour rendre l’usage des feuilles de laurier suspect. (b)

Laurier-rose, (Medecine.) le laurier-rose doit être regardé comme un poison non-seulement pour les hommes, mais encore pour toute sorte d’animaux qui en mangent, selon le sentiment de Galien, &

contre celui de Dioscoride & de Pline, qui disent que les fruits & les feuilles de laurier-rose sont un poison pour la plûpart des quadrupedes, mais que les hommes peuvent en user intérieurement contre les morsures des serpens, &c.

Les remedes contre ce poison sont ceux qu’on prescrit contre tous les poisons corrosifs en général ; savoir, les huiles par expression, le lait, le beurre, la décoction des fruits doux, des racines & des graines mucilagineuses, &c.

Les feuilles de laurier-rose écrasées & appliquées extérieurement, sont bonnes, selon Galien, contre la morsure des bêtes venimeuses.

Ces mêmes feuilles sont employées dans la poudre sternutatoire de la pharmacopée de Paris. Extrait de la suite de la mat. med. de Geoffroy.

Laurier, (Littér. & Mythol.) cet arbre, nommé daphné (δάφνη) par les Grecs, est de tous les arbres celui qui fut le plus en honneur chez les anciens. Ils tenoient pour prodige un laurier frappé de la foudre. Admis dans leurs cérémonies religieuses, il entroit dans leurs mysteres, & ses feuilles étoient regardées comme un instrument de divination. Si jettées au feu elles rendoient beaucoup de bruit, c’étoit un bon présage ; si au contraire elles ne pétilloient point du tout, c’étoit un signe funeste. Vouloit-on avoir des songes sur la vérité desquels on pût compter, il falloit mettre des feuilles de cet arbre sous le chevet de son lit. Vouloit-on donner des protecteurs à sa maison, il falloit planter des lauriers au-devant de son logis. Les Laboureurs, intéressés à détruire ces sortes de mouches si redoutées des bœufs pendant l’été, qu’elles les jettent quelquefois dans une espece de fureur, ne connoissoient point de meilleurs remedes que les feuilles de laurier. Dans combien de graves maladies son suc préparé, ou l’huile tirée de ses baies, passoient-ils pour des contre-poisons salutaires ? On mettoit des branches de cet arbre à la porte des malades ; on en couronnoit les statues d’Esculape. Tant de vertus qu’on attribue au laurier, le firent envisager comme un arbre divin, & comme l’arbre du bon génie.

Mais personne n’ignore qu’il étoit particulierement consacré à Apollon, & que c’est pour cela qu’on en ornoit ses temples, ses autels & le trépié de la pythie. L’amour de ce dieu pour la nymphe Daphné, est la raison qu’en donnent les Mythologistes ; cependant la véritable est la croyance où l’on étoit qu’il communiquoit l’esprit de prophétie & l’enthousiasme poétique. De-là vint qu’on couronnoit les Poëtes de laurier, ainsi que ceux qui remportoient les prix aux jeux pythiques. On prétend que sur la coupole du tombeau de Virgile, qui est près de Pouzzoles, il est né des lauriers qui semblent couronner l’édifice, & que ceux qu’on a coupés sont revenus, comme si la nature même eût voulu célébrer la gloire de ce grand poëte.

Les faisceaux des premiers magistrats de Rome, des dictateurs & des consuls, étoient entourés de lauriers, lorsqu’ils s’en étoient rendus dignes par leurs exploits. Plutarque parlant de l’entrevue de Lucullus & de Pompée, nous apprend qu’on portoit devant tous les deux des faisceaux surmontés de lauriers, en considération de leurs victoires.

Virgile fait remonter jusqu’au siecle de son héros la coûtume d’en ceindre le front des vainqueurs : il est du moins certain que les Romains l’adoptérent de bonne heure ; mais c’étoit dans les triomphes qu’ils en faisoient le plus noble usage. Là les généraux le portoient non-seulement autour de la tête, mais encore dans la main, comme le prouvent les médailles. On décoroit même de laurier ceux qui