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la Syrie & la Judée à son nouveau royaume, il entra dans la Judée, s’empara de Jérusalem pendant le repos du sabbat, & enleva de tout le pays cent mille Juifs qu’il transporta en Egypte. Depuis ce tems-là, ce prince remarquant dans les Juifs beaucoup de fidélité & de bravoure, leur témoigna sa confiance en leur donnant la garde de ses places ; il y en avoit d’autres établis à Alexandrie qui y faisoient fortune, & qui se louant de la douceur du gouvernement, purent y attirer leurs fréres dejà ébranlés par la douceur & les promesses que Ptolomée leur avoit faites dans son second voyage.

Philadelphe fit plus que son pere ; car il rendit la liberté à ceux que son pere avoit faits esclaves. Plusieurs reprirent la route de la Judée qu’ils aimoient comme leur patrie ; mais il y en eut beaucoup qui demeurerent dans un lieu où ils avoient eu le tems de prendre racine ; & Scaliger a raison de dire que ce furent ces gens-là qui composerent en partie les synagogues nombreuses des Juifs Hellenistes : enfin ce qui prouve que les Juifs jouissoient alors d’une grande liberté, c’est qu’ils composerent cette fameuse version des septante & peut-être la premiere version greque qui se soit faite des livres de Moïse.

On dispute fort sur la maniere dont cette version fut faite, & les Juifs ni les Chrétiens ne peuvent s’accorder sur cet évenement. Nous n’entreprendrons point ici de les concilier ; nous nous contenterons de dire que l’autorité des peres qui ont soutenu le récit d’Aristée, ne doit plus ébranler personne, après les preuves démonstratives qu’on a produites contre lui.

Voilà l’origine des Juifs en Egypte ; il ne faut point douter que ce peuple n’ait commencé dans ce tems-là à connoître la doctrine des Egyptiens, & qu’il n’ait pris d’eux la méthode d’expliquer l’écriture par des allégories. Eusebe (cap. X.) soutient que du tems d’Aristobule qui vivoit en Egypte sous le regne de Ptolomée Philometor, il y eut dans ce pays-là deux factions entre les Juifs, dont l’une se tenoit attachée scrupuleusement au sens littéral de la loi, & l’autre perçant au-travers de l’écorce, pénétroit dans une philosophie plus sublime.

Philon qui vivoit en Egypte au tems de J. C. donna tête baissée dans les allégorie, & dans le sens mystique ; il trouvoit tout ce qu’il vouloit dans l’écriture par cette méthode.

C’étoit encore en Egypte que les Esseniens parurent avec plus de réputation & d’éclat ; & les sectaires enseignoient que les mots étoient autant d’images des choses cachées ; ils changeoient les volumes sacrés & les préceptes de la sagesse en allégories. Enfin la conformité étonnante qui se trouve entre la cabale des Egyptiens & celle des Juifs, ne nous permet pas de douter que les Juifs n’ayent puisé cette science en Egypte, à moins qu’on ne veuille soutenir que les Egyptiens l’ont apprise des Juifs. Ce dernier sentiment a été très-bien refuté par de savans auteurs. Nous nous contenterons de dire ici que les Egyptiens jaloux de leur antiquité, de leur savoir, & de la beauté de leur esprit, regardoient avec mépris les autres nations, & les Juifs comme des esclaves qui avoient plié long-tems sous leur joug avant que de le secouer. On prend souvent les dieux de ses maîtres ; mais on ne les mandie presque jamais chez ses esclaves. On remarque comme une chose singuliere. à cette nation, que Sérapis fut porté d’un pays étranger en Egypte ; c’est la seule divinité qu’ils ayent adoptée des étrangers ; & même le fait est contesté, parce que le culte de Sérapis paroît beaucoup plus ancien en Egypte que le tems de Ptolomée Lagus, sous lequel cette translation se fit de Sinope à Alexandrie. Le culte d’Isis avoit passé

jusqu’à Rome, mais les dieux des Romains ne passoient point en Egypte, quoiqu’ils en fussent les conquérans & les maîtres. D’ailleurs les Chrétiens ont demeuré plus long-tems en Egypte que les Juifs ; ils avoient là des évêques & des maîtres très-savans. Non seulement la religion y florissoit, mais elle fut souvent appuyée par l’autorité souveraine. Cependant les Egyptiens, témoins de nos rits & de nos cérémonies, demeurerent religieusement attachés à celles qu’ils avoient reçues de leurs ancêtres. Ils ne grossissoient point leur religion de nos observances, & ne les faisoient point entrer dans leur culte. Comment peut-on s’imaginer qu’Abraham, Joseph & Moïse ayent eu l’art d’obliger les Egyptiens à abolir d’anciennes superstitions, pour recevoir la religion de leur main, pendant que l’église chrétienne qui avoit tant de lignes de communication avec les Egyptiens idolâtres, & qui étoit dans un si grand voisinage, n’a pu rien lui prêter par le ministere d’un prodigieux nombre d’évêques & de savans, & pendant la durée d’un grand nombre de siecles ? Socrate rapporte l’attachement que les Egyptiens de son tems avoient pour leurs temples, leurs cérémonies, & leurs mysteres ; on ne voit dans leur religion aucune trace de christianisme. Comment donc y pourroit-on remarquer des caracteres évidens de judaïsme ?

Origine des différentes sectes chez les Juifs. Lorsque le don de prophétie eut cessé chez les Juifs, l’inquiétude générale de la nation n’étant plus réprimée par l’autorité de quelques hommes inspirés, ils ne purent se contenter du style simple & clair de l’écriture ; ils y ajouterent des allégories qui dans la suite produisirent de nouveaux dogmes, & par conséquent des sectes différentes. Comme c’est du sein de ces sectes que sont sortis les différens ordres d’écrivains, & les opinions dont nous devons donner l’idée, il est important d’en pénétrer le fond, & de voir s’il est possible quel a été leur sort depuis leur origine. Nous avertissons seulement que nous ne parlerons ici que des sectes principales.

La secte des Saducéens. Lightfoot (Hor. héb. ad Mat. III. 7. opp. tom. II.) a donné aux Saducéens une fausse origine, en soutenant que leur opinion commençoit à se répandre du tems d’Esdras. Il assure qu’il y eut alors des impies qui commencerent à nier la résurrection des morts & l’immortalité des ames. Il ajoute que Malachie les introduit disant : c’est envain que nous servons Dieu ; & Esdras qui voulut donner un préservatif à l’église contre cette erreur, ordonna qu’on finiroit toutes les prieres par ces mots, de siecle en siecle, afin qu’on fût qu’il y avoit un siecle ou une autre vie après celle-ci. C’est ainsi que Lightfoot avoit rapporté l’origine de cette secte ; mais il tomba depuis dans une autre extrémité ; il résolut de ne faire naître les Saducéens qu’après que la version des septante eut été faite par l’ordre de Ptolomée Philadelphe, & pour cet effet, au lieu de remonter jusqu’à. Esdras, il a laissé couler deux ou trois générations depuis Zadoc ; il a abandonné les Rabbins & son propre sentiment, parce que les Saducéens rejettant les prophetes, & ne recevant que les Penthateuques, ils n’ont pu paroître qu’après les septante interpretes qui ne traduisirent en grec que les cinq livres de Moïse, & qui défendirent de rien ajouter a leur version : mais sans examiner si les 70 interpretes ne traduisirent pas toute la bible, cette version n’étoit point à l’usage des Juifs, où se forma la secte des Saducéens. On y lisoit la bible en hébreu, & les Saducéens recevoient les prophetes, aussi bien que les autres livres, ce qui renverse pleinement cette conjecture.

On trouve dans les docteurs hébreux une origine