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rizim étoit éloigné de Samarie, & qu’on étoit obligé de tourner ses regards vers cette montagne, parce que la distance étoit trop grande pour y aller faire ses dévotions. On soutient encore que les Samaritains avoient l’image d’un pigeon, qu’ils adoroient comme un symbole des dieux, & qu’ils avoient emprunté ce culte des Assyriens, qui mettoient dans leurs étendarts une colombe en mémoire de Sémiramis, qui avoit été nourrie par cet oiseau & changée en colombe, & à qui ils rendoient des honneurs divins. Les Cuthéens qui étoient de ce pays, purent retenir le culte de leur pays, & en conserver la mémoire pendant quelque tems ; car on ne déracine pas si facilement l’amour des objets sensibles dans la religion, & le peuple se les laisse rarement arracher.

Mais les Juifs sont outrés sur cette matiere, comme sur tout ce qui regarde les Samaritains. Ils soutiennent qu’ils avoient élevé une statue avec la figure d’une colombe qu’ils adoroient ; mais ils n’en donnent point d’autres preuves que leur persuasion. J’en suis très-persuadé, dit un rabin, & cette persuasion ne suffit pas sans raisons. D’ailleurs il faut remarquer, 1°. qu’aucun des anciens écrivains, ni profanes ni sacrés, ni payens, ni ecclésiastiques, n’ont parlé de ce culte que les Samaritains rendoient à un oiseau : ce silence général est une preuve de la calomnie des Juifs. 2°. Il faut remarquer encore que les Juifs n’ont osé l’insérer dans le Thalmud ; cette fable n’est point dans le texte, mais dans la glose. Il faut donc reconnoître que c’est un auteur beaucoup plus moderne qui a imaginé ce conte ; car le Thalmud ne fut composé que plusieurs siecles après la ruine de Jérusalem & de Samarie. 3°. On cite le rabin Meir, & on lui attribue cette découverte de l’idolatrie des Samaritains ; mais le culte public rendu sur le Garizim par un peuple entier, n’est pas une de ces choses qu’on puisse cacher long-tems, ni découvrir par subtilité ou par hasard. D’ailleurs le rabin Meir est un nom qu’on produit : il n’est resté de lui, ni témoignage, ni écrit, sur lequel on puisse appuyer cette conjecture.

S. Epiphane les accuse encore de nier la résurrection des corps ; & c’est pour leur prouver cette vérité importante, qu’il leur allegue l’exemple de Sara, laquelle conçut dans un âge avancé, & celui de la verge d’Aaron qui reverdit ; mais il y a une si grande distance d’une verge qui fleurit, & d’une vieille qui a des enfans, à la réunion de nos cendres dispersées, & au rétablissement du corps humain pourri depuis plusieurs siecles, qu’on ne conçoit pas comment il pouvoit lier ces idées, & en tirer une conséquence. Quoi qu’il en soit, l’accusation est fausse, car les Samaritains croyoient la resurrection. En effet on trouve dans leur chronique deux choses qui le prouvent évidemment ; car ils parlent d’un jour de récompense & de peine, ce qui, dans le style des Arabes, marque le jour de la resurrection générale, & du déluge de feu. D’ailleurs ils ont inséré dans leur chronique l’éloge de Moïse, que Josué composa après la mort de ce législateur ; & entre les louanges qu’il lui donne, il s’écrie qu’il est le seul qui ait ressuscité les morts. On ne sait comment l’auteur pouvoit attribuer à Moise la résurrection miraculeuse de quelques morts, puisque l’Ecriture ne le dit pas, & que les Juifs même sont en peine de prouver qu’il étoit le plus grand des prophêtes, parce qu’il n’a pas arrêté le soleil comme Josué, ni ressuscité les morts comme Elisée. Mais ce qui acheve de constater que les Samaritains croyoient la résurrection, c’est que Menandre qui avoit été samaritain, fondoit toute sa philosophie sur ce dogme. On sait d’ailleurs, & saint Epiphane ne l’a point nié, que les Dosithéens qui formoient une secte de samaritains, en faisoient hautement profession. Il est vraissemblable que ce qui a donné occasion à cette erreur, c’est que les

Saducéens qui nioient véritablement la résurrection, furent appellés par les Pharisiens Cuthim, c’est-à-dire hérétiques, ce qui les fit confondre avec les Samaritains.

Enfin Léontius (de sectis, cap. 8.) leur reproche de ne point reconnoître l’existence des anges. Il sembleroit qu’il a confondu les Samaritains avec les Saducéens ; & on pourroit l’en convaincre par l’autorité de saint Epiphane, qui distinguoit les Samaritains & les Saducéens par ce caractere, que les derniers ne croyoient ni les anges, ni les esprits ; mais on sait que ce saint a souvent confondu les sentimens des anciennes sectes. Le savant Reland (Diss. misc. part. II. p. 25.) pensoit que les Samaritains entendoient par un ange, une vertu, un instrument dont la divinité se sert pour agir, ou quelqu’organe sensible qu’il employe pour l’exécution de ses ordres : ou bien ils croyoient que les anges sont des vertus naturellement unies à la divinité, & qu’il fait sortir quand il lui plaît : cela paroît par le Pentateuque samaritain, dans lequel on substitue souvent Dieu aux anges, & les anges à Dieu.

On ne doit point oublier Simon le magicien dans l’histoire des Samaritains, puisqu’il étoit Samaritain lui-même, & qu’il dogmatisa chez eux pendant quelque tems : voici ce que nous avons trouvé de plus vraisemblable à son sujet.

Simon étoit natif de Gitthon dans la province de Samarie : il y a apparence qu’il suivit la coutume des asiatiques qui voyageoient souvent en Egypte pour y apprendre la philosophie. Ce fut là sans doute qu’il s’instruisit dans la magie qu’on enseignoit dans les écoles. Depuis étant revenu dans sa patrie, il se donna pour un grand personnage, abusa longtems le peuple de ses prestiges, & tâcha de leur faire croire qu’il étoit le libérateur du genre humain. S.Luc act. viij. ix. rapporte que les Samaritains se laisserent effectivement enchanter par ses artifices, & qu’ils le nommerent la grande vertu de Dieu ; mais on suppose sans fondement qu’ils regardoient Simon le magicien comme le messie. Saint Epiphane assure (éphiph. hæres. pag. 154.) que cet imposteur prêchoit aux Samaritains qu’il étoit le pere, & aux Juifs qu’il étoit le fils. Il en fait par-là un extravagant qui n’auroit trompé personne par la contradiction qui ne pouvoit être ignorée dans une si petite distance de lieu. En effet Simon adoré des Samaritains, ne pouvoit être le docteur des Juifs : enfin prêcher aux Juifs qu’il étoit le fils, c’étoit les soulever contre lui, comme ils s’étoient soulevés contre J. C. lorsqu’il avoit pris le titre de fils de Dieu. Il n’est pas même vraissemblable qu’il se regardât comme le messie, 1°. parce que l’historien sacré ne l’accuse que de magie, & c’étoit par-là qu’il avoit séduit les Samaritains : 2°. parce que les Samaritains l’appelloient seulement la vertu de Dieu, la grande. Simon abusa dans la suite de ce titre qui lui avoit été donné, & il y attacha des idées qu’on n’avoit pas eues au commencement ; mais il ne prennoit pas lui-même ce nom, c’étoient les Samaritains étonnés de ses prodiges, qui l’appelloient la vertu de Dieu. Cela convenoit aux miracles apparens qu’il avoit faits, mais on ne pouvoit pas en conclure qu’il se regardât comme le messie. D’ailleurs il ne se mettoit pas à la tête des armées, & ne soulevoit pas les peuples ; il ne pouvoit donc pas convaincre les Juifs mieux que J. C. qui avoit fait des miracles plus réels & plus grands sous leurs yeux. Enfin ce seroit le dernier de tous les prodiges, que Simon se fût converti, s’il s’étoit fait le messie ; son imposture auroit paru trop grossiere pour en soutenir la honte ; Saint Luc ne lui impute rien de semblable : il fit ce qui étoit assez naturel : convaincu de la fausseté de son art, dont les plus habiles magiciens se défient toûjours,