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ancien langage des habitans de la partie septentrionale de l’Espagne, avant que ce pays eût été soumis aux Romains.

Le docteur Wallis semble croire que ce langage étoit celui de toute l’Espagne même, & qu’il a été l’origine de la langue romance, laquelle s’est insensiblement changée en espagnol. Mais outre qu’il seroit difficile de prouver cette opinion, il n’est pas vraissemblable qu’un si grand pays habité par tant de peuples différens, n’ait eu qu’une même langue.

D’ailleurs, l’ancien cantabre subsiste encore dans les parties seches & montagneuses de la Biscaye, des Asturies, & de la Navarre jusqu’à Bayonne, à-peu-près comme le galois subsiste dans la province de Galles ; le peuple seul parle le cantabre ; car les habitans se servent pour écrire de l’espagnol ou du françois, selon qu’ils vivent sous l’empire de l’un ou de l’autre royaume.

La langue cantabre, dépouillée des mots espagnols qu’elle a adoptés pour des choses dont l’usage étoit anciennement inconnu aux Biscayens, n’a point de rapport avec aucune autre langue connue.

La plus grande partie de ses noms finit en a au singulier, & en ac au pluriel : tels sont cerva & cervac, les cieux ; lurra & lurrac, la terre ; eguzquia, le soleil ; izarquia, la lune ; izarra, une étoile ; odeya, un nuage ; sua, le feu ; ibaya, une riviere ; urea, un village ; echea, une maison ; ocea, un lit ; oguia, du pain ; ordava, du vin, &c.

La priere dominicale dans cette langue commence ainsi : Gure aita cervacan aicena, sanctifica bedi hire icena ; ethor bedi hire resuma ; eguin bedi hire vorondatea cervan, beccala lurracan ere, &c. (D. J.)

Langue nouvelle. On a parlé presque de nos jours d’un nouveau système de Grammaire, pour former une langue universelle & abrégée, qui pût faciliter la correspondance & le commerce entre les nations de l’Europe : on assure que M. Léibnitz s’étoit occupé sérieusement de ce projet ; mais on ignore jusqu’où il avoit poussé sur cela ses réflexions & ses recherches. On croit communément que l’opposition & la diversité des esprits parmi les hommes rendroient l’entreprise impossible ; & l’on prévoit sans doute que quand même on inventeroit le langage le plus court & le plus aisé, jamais les peuples ne voudroient concourir à l’apprendre : aussi n’a-t-on rien fait de considérable pour cela.

Le pere Lami de l’oratoire, dans l’excellente rhétorique qu’il nous a laissée, dit quelque chose des avantages & de la possibilité d’une langue factice ; il fait entendre qu’on pourroit supprimer les déclinaisons & les conjugaisons, en choisissant pour les verbes, par exemple, des mots qui exprimassent les actions, les passions, les manieres, &c. & déterminant les personnes, les tems & les modes, par des monosyllabes qui fussent les mêmes dans tous les verbes. A l’égard des noms, il ne voudroit aussi que quelques articles qui en marquassent les divers rapports ; & il propose pour modele la langue des Tartares Mogols, qui semble avoir été formée sur ce plan.

Charmé de cette premiere ouverture, j’ai voulu commencer au-moins l’exécution d’un projet que les autres ne font qu’indiquer ; & je crois avoir trouvé sur tout cela un système des plus naturels & des plus faciles. Mon dessein n’est pas au reste de former un langage universel à l’usage de plusieurs nations. Cette entreprise ne peut convenir qu’aux académies savantes que nous avons en Europe, supposé encore qu’elles travaillassent de concert & sous les auspices des puissances. J’indique seulement aux curieux un langage laconique & simple que l’on sai-

sit d’abord, & qui peut être varié à l’infini ; langage

enfin avec lequel on est bientôt en état de parler & d’écrire, de maniere à n’être entendu que par ceux qui en auront la clé.

L’usage des conjugaisons dans les langues savantes, est d’exprimer en un seul mot une action, la personne qui fait cette action, & le tems où elle se fait. Scribo, j’écris, ne signifie pas simplement l’action d’écrire, il signifie encore que c’est moi qui écris, & que j’écris à-présent. Cette mécanique, toute belle qu’elle est, ne nous convient pas ; il nous faut quelque chose de plus constant & de plus uniforme. Voici donc tout notre plan de conjugaison.

1°. L’infinitif ou l’indéfini sera en as ; donner, donas.

Le passé de l’infinitif en is, avoir donné, donis.

Le futur de l’infinitif en us, devoir donner, donus.

Le participe présent en ont, donnant, donont.

2°. Les terminaisons a, e, i, o, u, & les pronoms jo, to, lo, no, vo, zo, feront tout le mode indicatif ou absolu.

Je donne, jo dona ; tu donnes, to dona ; il donne, lo dona ; nous donnons, no dona ; vous donnez, vo dona ; ils donnent, zo dona.

Je donnois, jo doné ; tu donnois, to doné ; il donnoit, lo doné, &c. J’ai donné, jo doni ; tu as donné, to doni ; il a donné, lo doni, &c. J’avois donné, jo dono ; tu avois donné, to dono ; il avoit donné, lo dono, &c. Je donnerai, jo donu ; tu donneras, to donu ; il donnera, lo donu, &c.

3°. A l’égard du mode subjonctif ou dépendant, on le distinguera en ajoûtant la lettre & le son r à chaque tems de l’indicatif ; de sorte que les syllabes ar, er, ir, or, ur, feroient tous nos tems du subjonctif.

On dira donc : que je donne, jo donar, to donar, &c. je donnerois, jo doner, to doner, &c. j’aie donné, jo donir, to donir, &c. j’aurois donné, jo donor, to donor, &c. j’aurai donné, jo donur, to donur. Cependant je ne voudrois employer de ce mode que l’imparfait, le plusqueparfait, & le futur.

4°. Quant au mode impératif ou commandeur, on exprimera la seconde personne, qui est presque la seule en usage, par le présent de l’indicatif tout court. Ainsi l’on dira, donnez, dona.

La troisieme personne ne sera autre chose que le subjonctif qu’il donne, lo donar.

5°. On désignera l’interrogation, en mettant la personne après le verbe : donne-t-il, dona lo ; a-t-il donné, doni lo ; avoit-il donné, dono lo ; donnera-t-il, donu lo ; donneroit-il, donner lo ; auroit-il donné, donor lo ; aura-t-il donné, donur lo.

6°. Le passif sera formé du nouvel indicatif en a, & du verbe auxiliaire sas, être ; être donné, sas dona ; je suis donné, jo sa dona ; tu es donné, to sa dona ; il est donné, lo sa dona, &c.

7°. Il y a plusieurs substantifs qui sont censés venir de certains verbes avec lesquels ils ont un rapport visible : donation, par exemple, vient naturellement de donner ; volonté, de vouloir ; service de servir, &c. Ces sortes de substantifs se formeront de leurs verbes, en changeant la terminaison de l’infinitif en ou ; donner, donas ; donation, donou ; vouloir, vodas ; volonté, vodou ; servir, servas ; service, servou, &c. Au surplus, on suivra communément le tour, les figures & le génie du françois.

8°. On pourra, dans le choc des voyelles, employer la lettre n pour empêcher l’élision & pour rendre la prononciation plus douce. Nous allons faire l’application de ces regles ; & l’on n’aura pas de peine à les comprendre, pour peu qu’on lise ce qui suit.