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mirent à la torture les Juifs, qu’ils ne regardoient pas comme des citoyens. Ce qui se passa en Angleterre à leur égard, peut donner une idée de ce qu’on exécuta contre eux dans les autres pays. Le roi Jean ayant besoin d’argent, fit emprisonner les riches Juifs de son royaume pour en extorquer de leurs mains ; il y en eut peu qui échapperent aux poursuites de sa chambre de justice. Un d’eux, à qui on arracha sept dents l’une après l’autre pour avoir son bien, donna mille marcs d’argent à la huitieme. Henri III. tira d’Aaron, juif d’lorck, quatorze mille marcs d’argent, & dix mille pour la reine. Il vendit les autres Juifs de son pays à Richard son frere pour un certain nombre d’années, ut quos rex excoriaverat, comes evisceraret, dit Mathieu Paris.

On n’oublia pas d’employer en France les mêmes traitemens contre les Juifs ; on les mettoit en prison, on les pilloit, on les vendoit, on les accusoit de magie, de sacrifier des enfans, d’empoisonner les fontaines ; on les chassoit du royaume, on les y laissoit rentrer pour de l’argent ; & dans le tems même qu’on les toléroit, on les distinguoit des autres habitans par des marques infamantes.

Il y a plus, la coutume s’introduisit dans ce royaume, de confisquer tous les biens des Juifs qui embrassoient le Christianisme. Cette coutume si bizarre, nous la savons par la loi qui l’abroge ; c’est l’édit du roi donné à Basville le 4 Avril 1392. La vraie raison de cette confiscation, que l’auteur de l’esprit des lois a si bien développée, étoit une espece de droit d’amortissement pour le prince, ou pour les seigneurs, des taxes qu’ils levoient sur les Juifs, comme serfs main-mortables, auxquels ils succédoient. Or ils étoient privés de ce bénéfice, lorsque ceux-ci embrassoient le Christianisme.

En un mot, on ne peut dire combien, en tout lieu, on s’est joué de cette nation d’un siecle à l’autre. On a confisqué leurs biens, lorsqu’ils recevoient le Christianisme ; & bien-tôt après on les a fait brûler, lorsqu’ils ne voulurent pas le recevoir.

Enfin, proscrits sans cesse de chaque pays, ils trouverent ingénieusement le moyen de sauver leurs fortunes, & de rendre pour jamais leurs retraites assurées. Bannis de France sous Philippe le Long en 1318, ils se réfugierent en Lombardie, y donnerent aux négocians des lettres sur ceux a qui ils avoient confié leurs effets en partant, & ces lettres furent acquittées. L’invention admirable des lettres de change sortit du sein du desespoir ; & pour lors seulement le commerce put éluder la violence, & se maintenir par tout le monde.

Depuis ce tems-là, les princes ont ouvert les yeux sur leurs propres intérêts, & ont traité les Juifs avec plus de modération. On a senti, dans quelques endroits du nord & du midi, qu’on ne pouvoit se passer de leur secours. Mais, sans parler du Grand-Duc de Toscane, la Hollande & l’Angleterre animées de plus nobles principes, leur ont accordé toutes les douceurs possibles, sous la protection invariable de leur gouvernement. Ainsi répandus de nos jours avec plus de sûreté qu’ils n’en avoient encore eu dans tous les pays de l’Europe où regne le commerce, ils sont devenus des instrumens par le moyen desquels les nations les plus éloignées peuvent converser & correspondre ensemble. Il en est d’eux, comme des chevilles & des cloux qu’on employe dans un grand édifice, & qui sont nécessaires pour en joindre toutes les parties. On s’est fort mal trouvé en Espagne de les avoir chassés, ainsi qu’en France d’avoir persécuté des sujets dont la croyance différoit en quelques points de celle du prince. L’amour de la religion chrétienne consiste dans sa pratique ; & cette pratique ne respire que douceur, qu’humanité, que charité. (D. J.)

* Juifs, Philosophie des, (Hist. de la Philosop.) Nous ne connoissons point de nation plus ancienne que la juive. Outre son antiquité, elle a sur les autres une seconde prérogative qui n’est pas moins importante ; c’est de n’avoir point passé par le polithéisme, & la suite des superstitions naturelles & générales pour arriver à l’unité de Dieu. La révélation & la prophétie ont été les deux premieres sources de la connoissance de ses sages. Dieu se plut à s’entrenir avec Noé, Abraham, Isaac, Jacob, Joseph, Moïse & ses successeurs. La longue vie qui fut accordée à la plupart d’entre eux, ajoûta beaucoup à leur expérience. Le loisir de l’état de pâtres qu’ils avoient embrassé, étoit très-favorable à la méditation & à l’observation de la nature. Chefs de familles nombreuses, ils étoient très-versés dans tout ce qui tient à l’économie rustique & domestique, & au gouvernement paternel. A l’extinction du patriarchat, on voit paroître parmi eux un Moïse, un David, un Salomon, un Daniel, hommes d’une intelligence peu commune, & à qui l’on ne refusera pas le titre de grands législateurs. Qu’ont sçu les philosophes de la Grece, les Hiérophantes de l’Egypte, & les Gymnosophistes de l’Inde qui les éleve au-dessus des prophêtes ?

Noé construit l’arche, sépare les animaux purs des animaux impurs, se pourvoit des substances propres à la nourriture d’une infinité d’especes différentes, plante la vigne, en exprime le vin, & prédit à ses enfans leur destinée.

Sans ajoûter foi aux rêveries que les payens & les Juifs ont débitées sur le compte de Sem & de Cham, ce que l’Histoire nous en apprend suffit pour nous les rendre respectables ; mais quels hommes nous offre-t-elle qui soient comparables en autorité, en dignité, en jugement, en piété, en innocence, à Abraham, à Isaac & à Jacob. Joseph se fit admirer par sa sagesse chez le peuple le plus instruit de la terre, & le gouverna pendant quarante ans.

Mais nous voilà parvenus au tems de Moïse ; quel historien ! quel législateur ! quel philosophe ! quel poëte ! quel homme !

La sagesse de Salomon a passé en proverbe. Il écrivit une multitude incroyable de paraboles ; il connut depuis le cedre qui croît sur le Liban, jusqu’à l’hyssope ; il connut & les oiseaux, & les poissons, & les quadrupedes, & les reptiles ; & l’on accouroit de toutes les contrées de la terre pour le voir, l’entendre & l’admirer.

Abraham, Moïse, Salomon, Job, Daniel, & tous les sages qui se sont montrés chez la nation juive avant la captivité de Babylone, nous fourniroient une ample matiere, si leur histoire n’appartenoit plutôt à la révélation qu’à la philosophie.

Passons maintenant à l’histoire des Juifs, au sortir de la captivité de Babylone, à ces tems où ils ont quitté le nom d’Israélites & d’Hébreux, pour prendre celui de Juifs.

De la philosophie des Juifs depuis le retour de la captivité de Babylone, jusqu’à la ruine de Jérusalem. Personne n’ignore que les Juifs n’ont jamais passé pour un peuple savant. Il est certain qu’ils n’avoient aucune teinture des sciences exactes, & qu’ils se trompoient grossierement sur tous les articles qui en dépendent. Pour ce qui regarde la Physique, & le détail immense qui lui appartient, il n’est pas moins constant qu’ils n’en avoient aucune connoissance, non plus que des diverses parties de l’Histoire naturelle. Il faut donc donner ici au mot philosophie une signification plus étendue que celle qu’il a ordinairement : En effet il manqueroit quelque chose à l’histoire de cette science, si elle étoit privée du détail des opinions & de la doctrine de ce peuple, détail